Le Journal de Quebec

Nouvelles alliances ou vieilles chicanes ?

- Alexandre Soublière est l’auteur du nouveau livre La Maison mère (Boréal), un essai-fiction sur l’identité québécoise.

En mai dernier, Bari Weiss dressait le portait de l’intellectu­al Dark Web pour le compte du New York Times, véritable phénomène du web qui tente de se pencher sur des questions qui dépassent la politique partisane à coups de conversati­ons philosophi­ques durant parfois plus de trois heures. Des balados comme celui de Joe Rogan, expliquait-elle, récoltent des millions de télécharge­ments par mois et ne trouvent pas écho, ou presque, dans les médias de masse.

LES « NOUVELLES ALLIANCES »

Les figures qui gravitent autour de ce groupe ont souvent peu en commun : il arrive par exemple qu’un athée discute de liberté d’expression avec un juif pratiquant, ou qu’un libertarie­n parle d’immigratio­n avec un mathématic­ien de gauche. Ils ont baptisé ces échanges les « nouvelles alliances » et c’est ce qui fait en partie l’attrait du IDW.

Ici, au Québec, on nous avait promis un réaligneme­nt à la suite des élections du 1er octobre, une sorte de « nouvelles alliances » version Belle Province. Mais avons-nous vraiment échangé l’axe fédéralist­e-souveraini­ste pour l’axe gauche-droite ?

Je ne vous apprends rien, les différents chroniqueu­rs qui oeuvrent dans notre environnem­ent médiatique ont souvent leurs sujets fétiches.

Si, à une époque, c’était la gauche qui se battait pour préserver la liberté créative des groupes de heavy metal et des concepteur­s de jeux vidéo, maintenant, on sent que ce sont les Fox News de ce monde qui recrutent chez les jeunes en se servant de la liberté d’expression, valeur qui semble avoir été désertée par la gauche contempora­ine.

Dernièreme­nt, Mathieu Bock-côté et Étienne-alexandre Beauregard, deux souveraini­stes assumés, ont tous les deux déploré que l’émission Les Simpson veuille retirer le personnage d’apu au nom de la rectitude politique.

Récemment aussi, Joseph Facal écrivait à propos du Devoir : « Suis-je le seul à noter que hormis les Rioux, David et Cornellier, on y retrouve en quantité abondante tous les poncifs de la rectitude politique pseudo-progressis­te ? »

Or, les Rioux, David et Cornellier sont aussi, si je ne m’abuse, des souveraini­stes assumés. Ce qui m’amène à me demander si le réaligneme­nt gauchedroi­te du Québec n’est que partiel.

Au fond, il s’agit d’un réaligneme­nt sur l’axe gauche-droite au sein du camp souveraini­ste. Car chaque fois que des chroniqueu­rs connus au Québec ont sensibleme­nt les mêmes « talking point » que des républicai­ns aux États-Unis à propos de certaines valeurs spécifique­s, ce sont presque toujours des souveraini­stes (peut-être à part les radios de Québec et les admirateur­s de Maxime Bernier qui ont une base, somme toute, plus locale).

Et, de l’autre côté, chez le progressis­me version QS, à part pour la souveraine­té, on se demande quelle est la différence fondamenta­le entre la vision du monde, disons, d’un Gabriel Nadeau-dubois et d’un Justin Trudeau.

DE QUÉBÉCOIS À CANADIENS FRANÇAIS

Qui sont donc ces conservate­urs qui ont élu la CAQ ? Parce que même si Pierre Curzi, précisant qu’il ne le voyait pas comme une régression, a déclaré que « de Québécois, on est redevenu des Canadiens français » après l’élection, je me pose toujours cette question à propos des électeurs de la CAQ supposémen­t passés en mode post-question nationale. Où sont-ils ? Personnell­ement, je n’ai pas l’impression d’en entendre des représenta­nts idéologiqu­es dans nos médias.

Dans ma tête, les « nouvelles alliances » à la Intellectu­al Dark Web vont de soi. C’est pourquoi j’ai été surpris de me faire accuser de ne pas prendre de position claire dans mon nouveau livre La Maison mère où je tente de bousculer certains dogmes typiquemen­t québécois.

Je m’attendais à ce qu’il soit naturel de discuter avec un chroniqueu­r X ou Y si on s’entendait sur la liberté d’expression, par exemple, mais peut-être pas sur la vision de la langue. Je pensais qu’on pourrait discuter des enjeux de notre société point par point. Mais, apparemmen­t, il faut encore tout faire « fitter » dans des boîtes idéologiqu­es, et les « nouvelles alliances » devront attendre, puisque le réaligneme­nt du Québec n’a fait que nous séparer davantage, du moins, dans les médias.

Et même la gauche et la droite, de toute façon, qu’est-ce que ça veut dire ? Ces codes sont de plus en plus brouillés. Ce qui me semblerait beaucoup plus intéressan­t, je crois, au Québec et ailleurs, serait de discuter de deux autres réaligneme­nts majeurs : totalitair­e versus libertarie­n, et médias traditionn­els versus médias alternatif­s.

« CE QUI M’AMÈNE À ME DEMANDER SI LE RÉALIGNEME­NT GAUCHE-DROITE DU QUÉBEC N’EST QUE PARTIEL. AU FOND, IL S’AGIT D’UN RÉALIGNEME­NT SUR L’AXE GAUCHE-DROITE AU SEIN DU CAMP SOUVERAINI­STE. »

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