Le Journal de Quebec

Lettre à un ami

- JOSÉE LEGAULT

Mon très cher Bernard, finalement, cette indépendan­ce si précieuse à tes yeux, tu ne l’auras jamais vue de ton vivant. Tu as pourtant bataillé fort et longtemps pour elle. Tu lui as tout donné de toi et de ta passion. Tu étais de cette magnifique cohorte de femmes et d’hommes qui, pour tenter de la réaliser, ont choisi l’arène politique.

Démocrates, érudits, amoureux de culture, grands voyageurs et souvent polyglotte­s, ils savaient rêver grand et bâtir pour le bien commun. L’ouverture sur le monde dont les plus jeunes se targuent d’avoir le monopole, toi et tes compagnons d’armes l’aviez pratiquée bien avant eux.

Le Québec, tu le connaissai­s comme personne. Pédagogue, tu as su le faire aimer à tes étudiants, tes électeurs et partout à l’étranger. Ils seront nombreux à parler aussi de ta grande contributi­on à son développem­ent économique.

Pour ma part, j’ai eu le bonheur de voir également le bon vivant. Dans tes moments de détente, ton rire si unique résonnait. Dans les moments plus tendus, tes colères résonnaien­t encore plus. Légendaire­s, elles pouvaient foudroyer les plus coriaces, dont moi.

Lorsque tu es devenu premier ministre, tu m’as invitée à me joindre à ton cabinet comme « conseillèr­e spéciale ». C’est là que, discrèteme­nt, j’ai pu assister à la naissance de la très grande complicité que tu partagerai­s avec Chantal jusqu’à ton dernier souffle.

LÉGENDAIRE­S

Au bureau du premier ministre, ta lecture assidue des journaux du matin était tout un spectacle. Tu en sortais soit joyeux, soit en beau fusil. Tu te souviens quand je t’ai dit que tes photos officielle­s ressemblai­ent à de vieilles images soviétique­s tellement elles étaient froides et loin de l’homme que tu étais ?

J’ai craint le pire comme réaction, mais non, tu m’as simplement demandé de m’en occuper. Les prochaines ont donc été prises à Verchères, autour de ta maison bien aimée. Résultat : on t’y voyait vrai et heureux.

Notre amitié, comme tu le sais, a néanmoins connu ses tempêtes. Mon séjour au bunker s’étant terminé dans la trombe, on s’est brouillé pendant plusieurs années. Puis, un jour, le téléphone sonne. C’est toi. Choc et stupeur.

Eh bien, non, tu ne m’appelais pas pour me « chicaner ». Au contraire, tu voulais t’excuser et prendre la responsabi­lité pour la manière dont notre amitié s’était brisée. Ta grandeur d’âme m’a profondéme­nt touchée.

Ton appel m’a libérée d’un lourd fardeau et nos contacts sont redevenus chaleureux comme avant. La dernière fois que je t’ai vu ce printemps, j’ai osé t’embrasser sur le front. Tu as souri. Notre réconcilia­tion était scellée.

Mon cher premier ministre, les Québécois te doivent beaucoup. Que ton âme repose en paix. Toutes mes condoléanc­es à ton épouse Chantal, tes enfants, petits-enfants, amis et collègues.

Ton amie et ex-conseillèr­e spéciale, Josée.

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Tous les hommes et les femmes de cette nation encore en devenir doivent beaucoup à Bernard Landry.

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