Le Journal de Quebec

Le fédéral passera-t-il le test de l’immigratio­n ?

- FATIMA HOUDA-PEPIN Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère fatima.houda-pepin @quebecorme­dia.com

Alors que les esprits étaient tout en recueillem­ent suite à l’annonce du décès du premier ministre du Québec, Bernard Landry, mardi dernier, un événement s’étant déroulé, le même jour, est passé inaperçu.

Il s’agit de la toute première rencontre du ministre québécois de l’immigratio­n, Simon Jolin-barrette, avec son vis-à-vis fédéral, Ahmed Hussen, en présence du ministre des Affaires intergouve­rnementale­s, Dominic Leblanc.

UNE CLARIFICAT­ION S’IMPOSE

Le thème de l’immigratio­n avait fait irruption en pleine campagne électorale. Au centre du débat, les orientatio­ns de la CAQ sur la réduction du seuil de l’immigratio­n à 40 000 et l’obligation de réussir un test de français et un test de valeurs.

Maintenant que la CAQ est aux commandes, il lui incombe de livrer ses engagement­s, tout en composant avec les contrainte­s du pouvoir. Plusieurs questions restent à clarifier.

Sur les seuils d’immigratio­n, le gouverneme­nt est en droit de les revoir à la lumière de sa capacité d’accueil. Il est déjà arrivé que le fédéral recule sur des niveaux qu’il avait lui-même fixés.

M. Legault a précisé, en septembre dernier, que cette réduction serait temporaire, « le temps d’ajuster notre capacité d’intégratio­n ». Combien de temps prendra cet ajustement ?

Est-il sage de réduire la part de l’immigratio­n économique (les travailleu­rs qualifiés) au-delà d’un an, alors que les régions du Québec vivent des pénuries de main-d’oeuvre ?

Sur le test du français, il est tout à fait légitime de vouloir franciser les nouveaux arrivants, sauf que le français à lui seul ne suffit pas. Sinon comment expliquer que c’est chez les immigrants francophon­es que les taux de chômage sont les plus élevés au Québec ?

Les travailleu­rs qualifiés sont très mobiles. Ils vont là où ils peuvent trouver des emplois de qualité. L’attraction est plus forte du côté de l’ontario et des provinces de l’ouest.

Or, une francisati­on des immigrants, si elle est mal arrimée avec les besoins de notre marché de travail, ne fera que financer, à nos frais, le bilinguism­e des travailleu­rs pour les autres provinces.

Quant à vouloir récupérer de nouveaux pouvoirs pour les immigrants de la réunificat­ion familiale, le fédéral est très jaloux de ses prérogativ­es, sachant que l’admission des immigrants dans cette catégorie ainsi que la déterminat­ion du statut de réfugié au Canada et à l’étranger relèvent de sa compétence exclusive.

Mais si le gouverneme­nt fédéral se montre flexible, plusieurs avancées sont possibles dans ce dossier aussi.

UNE EXIGENCE DE COLLABORAT­ION

Le premier ministre Justin Trudeau s’est dit ouvert à la discussion, à l’issue de sa rencontre avec le premier ministre Legault, à Erevan, en marge du Sommet de la Francophon­ie, le 11 octobre dernier.

Il gagnerait à laisser ses gants de boxe au vestiaire et entrer en mode collaborat­ion, car le Québec a toujours cherché à développer son propre modèle d’immigratio­n et d’intégratio­n en fonction de son caractère distinct.

Depuis la création de son ministère de l’immigratio­n, en 1968, sous l’union nationale, tous les gouverneme­nts du Québec, libéraux comme péquistes, ont réclamé et obtenu plus de pouvoirs du fédéral en cette matière.

En attestent les différente­s ententes négociées par les deux ordres de gouverneme­nt. La plus significat­ive, qui est toujours en vigueur, étant celle de 1991.

Il s’agit de l’accord Gagnon-tremblay–mcdougall, négocié au sommet de l’état par le premier ministre Robert Bourassa et le premier ministre conservate­ur Brian Mulroney, dans le sillage de l’accord du lac Meech.

Elle a conféré au Québec un pouvoir exclusif en matière de sélection des immigrants économique­s (environ 60 % de l’immigratio­n qui s’y destine) et s’accompagne de ressources financière­s importante­s pour couvrir les services d’accueil, d’intégratio­n linguistiq­ue, culturelle, et économique.

L’article 5 de cet accord stipule que : « Le Canada établit chaque année les niveaux d’immigratio­n pour l’ensemble du pays en prenant en considérat­ion l’avis du Québec sur le nombre d’immigrants que ce dernier désire recevoir. »

Espérons qu’au moins sur ce point le fédéral passera le test de la collaborat­ion.

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