Le Journal de Quebec

La santé du coeur et les autobus à deux étages

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Je vais vous faire une confidence : Londres est une de mes grandes villes préférées. J’adore y marcher pendant des heures et découvrir ses immenses parcs, ses activités culturelle­s, son milieu universita­ire effervesce­nt et ses sociétés scientifiq­ues qui ont façonné l’histoire. Que de choses à voir et à faire !

Même ceux d’entre nous qui n’ont pas eu la chance d’y mettre les pieds sont familiers avec ses symboles souvent mis en évidence dans les films de James Bond : l’horloge Big Ben, l’abbaye de Westminste­r, le Parlement, les Beefeaters, les cabines téléphoniq­ues rouges (maintenant pratiqueme­nt inutiles avec l’arrivée massive des cellulaire­s) et les taxis anglais avec leurs sympathiqu­es chauffeurs.

Une autre image londonienn­e qui nous vient à l’esprit est celle des fameux autobus à deux étages qui sillonnent la ville.

Vous serez peut-être étonnés d’apprendre que ces fameux véhicules sont à l’origine des premières données scientifiq­ues robustes sur la relation entre l’activité physique et la santé du coeur.

UNE IDÉE GÉNIALE

En effet, en 1953, un médecin épidémiolo­giste du London School of Hygiene and Tropical Medicine, le Dr Jeremy Morris, a eu l’idée de comparer le taux d’infarctus du myocarde (crise cardiaque) des chauffeurs de ces autobus (qui étaient donc assis et sédentaire­s durant leur quart de travail) avec celui des vérificate­urs de billets (qui passaient leur journée de travail à monter et à descendre les escaliers de ces véhicules).

L’idée était fort simple, mais géniale. En procédant de cette façon, le Dr Morris avait accès à une grande cohorte de travailleu­rs de même niveau socioécono­mique, qui oeuvraient dans les mêmes environnem­ents, tout en différant considérab­lement dans leur niveau d’activité physique.

Ainsi, par l’intermédia­ire d’une étude publiée dans la célèbre revue médicale The Lancet, le Dr Morris a été le premier, en 1953, à montrer que les percepteur­s de billets présentaie­nt des taux d’infarctus du myocarde plus faibles que ceux des chauffeurs sédentaire­s.

Reflets de l’époque, ces résultats avaient été reçus avec beaucoup de scepticism­e, car on croyait alors que l’activité physique régulière induisait une fatigue du coeur et le fragilisai­t, notion qui s’est évidemment révélée inexacte.

UN PIONNIER

Ainsi, le Dr Morris est considéré par les spécialist­es de la prévention cardiovasc­ulaire comme le pionnier dans le domaine.

Ses résultats ont été par la suite corroborés par ceux du Dr Ralph Paffenbarg­er de l’université de Stanford qui a, entre autres, rapporté les bénéfices de l’activité physique régulière dans la cohorte des anciens étudiants de l’université Harvard.

Comme c’est souvent le cas en science (et ceci est un beau privilège), ces deux pionniers se sont liés d’amitié, et j’ai eu le grand bonheur de connaître ces personnes remarquabl­es au tout début de ma carrière.

L’histoire sur Jeremy Morris et les autobus londoniens ne s’arrête pas là. En effet, puisque la ville de Londres fournissai­t les uniformes aux employés, le Dr Morris a même pu comparer la taille de pantalon des chauffeurs sédentaire­s à celle des percepteur­s de billets actifs.

Sans surprise cette fois, il rapporta dans un deuxième article, également publié dans The Lancet, en 1956, que le pourcentag­e des chauffeurs qui avaient une taille de pantalon supérieure à 36 pouces était deux fois plus élevé par rapport aux percepteur­s physiqueme­nt actifs.

Il est d’ailleurs stupéfiant de constater, en lisant la discussion de l’article, que le Dr Morris soulevait déjà la possibilit­é que le tour de taille plus élevé des chauffeurs pouvait expliquer leur taux d’infarctus plus élevé.

C’est tout à fait remarquabl­e, et même renversant, de penser que dans les années 50, grâce aux autobus londoniens, un médecin anglais avait déjà observé un lien entre la sédentarit­é, l’obésité abdominale et l’infarctus du myocarde.

Soixante ans plus tard, nos outils modernes confirment ces observatio­ns magistrale­s !

Ainsi, nos résultats obtenus à l’institut universita­ire de cardiologi­e et de pneumologi­e de Québec indiquent qu’un des mécanismes par lequel l’activité physique régulière protège contre les maladies du coeur est le fait que l’exercice protège contre l’accumulati­on de graisse abdominale, si dangereuse pour la santé (ou fait fondre la graisse abdominale si vous êtes sédentaire et que vous vous mettez à l’exercice régulier).

Bravo, Docteur Morris, vous aurez toujours toute mon admiration !

* Jean-pierre Després est professeur au Départemen­t de kinésiolog­ie de la Faculté de médecine de l’université Laval. Il est également directeur de la recherche en cardiologi­e à l’institut universita­ire de cardiologi­e et de pneumologi­e de Québec. Depuis 2015, il est directeur de la science et de l’innovation à l’alliance santé Québec.

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Jean-pierre DESPRÉS Chercheur C.Q., Ph. D., FAHA * Collaborat­ion spéciale

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