Le Journal de Quebec

Richard Martineau

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau @quebecorme­dia.com

Avez-vous déjà eu un ami qui s’est trouvé une « cause » ?

Il n’y a rien de plus chiant, avouez. Un jour, c’est un gars hilarant, drôle, plein de verve, avec qui on peut parler de tout et de rien, des petites comme des grandes choses de la vie, la météo, les filles, le cinéma, le hockey, la différence entre les Stones et les Beatles, Batman et Superman, prendre une douche ou prendre un bain.

Le lendemain, c’est un militant qui ne cause que d’un seul et unique sujet : sa Cause.

La Cause, la Cause, la Cause.

ENTRER DANS LES ORDRES

Vous avez l’impression que la personne que vous aimiez est tombée sous la coupe d’une secte. Physiqueme­nt, c’est le même gars, mais psychologi­quement, c’est comme si un gourou avait pris le contrôle de son cerveau et avait reprogramm­é son ordinateur interne.

Tu viens voir le nouveau Lars Von Trier ce soir ? Non, j’ai une réunion pour La Cause. On va manger ensemble demain ? Non, j’ai une manif pour La Cause. On va prendre un verre avec Lucie tantôt ? Non, je ne lui parle plus, elle a critiqué ma Cause dans un de ses papiers.

Tout tourne autour de sa maudite Cause. Lui qui était curieux, voici qu’il ne s’intéresse qu’à un seul et unique sujet.

Comme un dépressif qui découvre Jésus, Bouddha ou Mahomet, renie sa vie ancienne et met toutes ses billes dans le même sac.

LA MORT D’UN ARTISTE

Avez-vous vu le film Le Redoutable ? Le réalisateu­r, Michel Hazanavici­us (qui avait fait The Artist, avec Jean Dujardin), nous raconte ce qui est arrivé à Jean-luc Godard à la fin des années 60.

Cinéaste de génie et chef de file de la Nouvelle Vague, Godard a révolution­né le cinéma à la fin des années 50 et au début des années 60. Il était brillant, iconoclast­e, provocateu­r. Libre. L’un des plus grands inventeurs de formes de l’histoire. Mais en 1967, le réalisateu­r de À Bout de souffle et du Mépris a découvert le Petit Livre Rouge de Mao Tsé-toung.

Et il est devenu l’homme le plus chiant de la planète. Austère, barbant, emmerdant. Mettant tout son talent au service de La Cause. Et parlant du maoïsme du matin au soir et du soir au matin.

Il était un lutin, un démiurge, un bon petit diable, toujours prêt à faire les 400 coups. Il est devenu un donneur de leçons.

Lui qui se plaisait à faire bande à part, le voilà maintenant petit soldat.

Embrigadé. Marchant au pas. Et suivant docilement le troupeau. Les yeux fixés sur Mao.

Il aura fallu 12 ans, 12 ans de sacerdoce et de militantis­me aveugle, pour que Godard redevienne — enfin — Godard, avec un nouveau chef-d’oeuvre, Sauve qui peut (la vie).

SAUVER SON ÂME

On rit des chanteurs qui deviennent « born again » et qui se mettent à chanter les louanges de Jésus.

Mais ne ressemblen­t-ils pas à s’y méprendre à tous ces artistes qui, soudaineme­nt, se trouvent une Cause ?

Une Cause qui leur permettra de laver leurs vieux péchés, eux qui ont fait fortune en « vendant » leurs talents aux « méchants capitalist­es » de Hollywood ou de Las Vegas.

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