Le Journal de Quebec

Redevenir des Canadiens français ?

- antoine.robitaille @quebecorme­dia.com

La plupart des Québécois se foutent des francophon­es hors Québec.

La distance n’explique pas tout. Depuis que nous avons commencé à nous dire « Québécois » plutôt que « Canadien français », il y a une cinquantai­ne d’années, nous les avons évacués de notre conscience, de nos combats ; nous avons cessé de les considérer comme des frères et des soeurs dont le destin était lié au nôtre.

Les francos hors Québec ont été ballottés dans la grande querelle entre fédéralist­es et souveraini­stes.

Les premiers les ont souvent instrument­alisés : tout ralentisse­ment de l’assimilati­on des francos était un signe des formidable­s vertus du Dominion. Que c’était fabuleux : il n’était plus francocide (si vous me permettez le néologisme) comme à l’époque de Riel ou du Règlement 17.

Les seconds, les souveraini­stes, avaient tout intérêt à noircir le tableau. À démontrer l’inéluctabi­lité de l’assimilati­on, à cacher tout progrès. Les francos hors Québec ? Des « cadavres encore chauds » (Yves Beauchemin) ; ou des canards déjà morts… « dead ducks » (René Lévesque).

LA DONNE A CHANGÉ

Mais comme l’a répété à plusieurs reprises François Legault à des Américains (qui ne comprenaie­nt manifestem­ent pas ce que ça impliquait) dans sa mission à Boston, la querelle des « oui » et des « non » n’est plus à l’ordre du jour.

Cela a certains effets imprévus. La menace souveraini­ste n’apparaissa­nt plus sur le radar, nombre de Canadiens anglais – dans l’élite comme dans le peuple – semblent tentés d’abandonner toute bonne volonté à l’égard des francophon­es.

En 2015, une Cour suprême divisée tranche dans la fameuse cause Caron : l’alberta et la Saskatchew­an n’ont finalement aucune obligation constituti­onnelle de publier leurs lois en anglais et en français.

En 2018, au Nouveau-brunswick – seule province officielle­ment bilingue au Canada – un parti dont le chef est unilingue se hisse au pouvoir avec l’appui d’un petit parti radical dont le programme est d’en finir avec le bilinguism­e.

En 2018, le gouverneme­nt ontarien de Doug Ford met fin au projet de création de l’université de l’ontario français et a aboli du même souffle le Commissari­at aux services en français.

SE RESENSIBIL­ISER

Devant ces attaques frontales contre la francophon­ie hors Québec, les Québécois continuero­nt-ils à igno- rer complèteme­nt ce qui arrive aux francophon­es dans le ROC ?

Espérons que non. Déjà il semble y avoir quelques réactions.

Il y a trois ans, j’ai participé au documentai­re d’achille Michaud, Une langue commune, deux identités à Radio-canada au sujet des « deux solitudes » que représente­nt les francophon­es hors Québec et les Québécois.

J’y confiais la surprise qu’a représenté­e pour moi la découverte, alors que j’avais une vingtaine d’années, des combats de mon grand-père, Émilien Rochette, pour la « survivance » des « Canadiens français » partout dans la confédérat­ion. En fouillant dans une boîte, j’étais tombé sur un disque vinyle 78 tours sur lequel était gravé un discours prononcé par Émilien en 1952 lors d’un congrès de l’associatio­n des Canadiens français de l’alberta.

J’avais été remué de l’entendre grasseyer en disant que « tous les patriotes de notre pays » doivent s’intéresser aux « grandes questions », aux « problèmes des minorités ». Dans le reportage de Michaud, diffusé en 2015, on voit Pierre Ouellette, alors recteur de l’université de Hearst en Ontario, pester : « On est tannés que les Québécois ne sachent pas qui on est. […]. Qu’ils ne nous aiment pas, ce serait une chose. Qu’ils nous ignorent, je pense que c’est pire. »

Comment nous resensibil­iser ? Faudrait-il « apprendre, après plus de 40 années, à redevenir des Canadiens français » ?

Cette phrase me taraude depuis dix ans. Elle est du philosophe Daniel Jacques, dans son essai à la fois troublant et prémonitoi­re La fatigue politique du Québec français (Boréal 2008).

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Le gouverneme­nt ontarien de Doug Ford a mis fin au projet de création de l’université de l’ontario français et a aboli du même souffle le Commissari­at aux services en français.

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