Le Journal de Quebec

Landry, ce patron d’exception

- Hubert Bolduc est président-directeur général, Montréal Internatio­nal

Dans les heures et les jours qui ont suivi l’annonce du décès de Bernard Landry, je me suis employé, en ma qualité d’ancien attaché de presse de ce grand patriote, à multiplier les entrevues médiatique­s pour rappeler combien il avait été un serviteur de l’état exemplaire et un remarquabl­e premier ministre. Mon devoir moral. Mais ce faisant, je me suis privé de lui rendre personnell­ement hommage en illustrant combien il avait défini qui je suis, déterminé ma trajectoir­e et changé ma vie.

J’avais 27 ans lorsque j’ai commencé à oeuvrer pour Bernard Landry. J’étais un ti-cul. J’habitais encore chez mes parents et ma blonde de l’époque était anglophone, fédéralist­e et travaillai­t à Ottawa ! Je portais des noeuds papillon pour avoir l’air plus smatte.

En m’invitant à faire partie de son cabinet, Bernard Landry allait me tracer le chemin…

PUGNACITÉ

Nos premiers pas ensemble furent laborieux. Il ne me parlait pas ou peu, ne lisait que rarement ses notes de breffage, à l’exception des résultats mensuels sur l’emploi pour lesquels il entretenai­t une véritable obsession.

Il se foutait éperdument de mes prudents conseils de retenue par rapport aux dossiers de ses collègues ministres, jusqu’au jour où survient une déclaratio­n fracassant­e de sa part, comme lui seul savait le faire.

À une dernière question dans une mêlée de presse, Landry lança cette salve : « Le Québec n’est pas à vendre et ne fera pas le trottoir pour quelques bouts de chiffons rouges » ! Alea jacta est.

Il n’était pas encore premier ministre que nous faisions déjà la une de tous les journaux au Canada, sans exception.

Je n’ai jamais vu quelqu’un se défendre avec autant de pugnacité. Cela a duré des semaines, voire des mois. C’est alors que j’ai compris que Landry était un battant. Et que si nous avions des conviction­s, il nous fallait les défendre.

L’HOMME D’UNE SEULE CAUSE

Bernard Landry fut l’homme d’une cause, d’une seule cause : l’indépendan­ce nationale. Et pour la réaliser, il croyait à juste titre que les Québécois devaient avoir confiance en leur capacité de faire de grandes choses. Que la nation québécoise d’un point de vue économique pouvait rivaliser avec les autres grandes nations du monde.

C’est dans cet esprit qu’il s’employa à convaincre ses compatriot­es que le Québec était une puissance économique sans complexe. Désormais, grâce en partie à sa déterminat­ion, le Québec possède tous les moyens de ses ambitions.

Dans le sillage de son décès, plusieurs acteurs ont évoqué son testament politique : Paix des Braves, orphelins de Duplessis, déficit zéro, fête des Patriotes et surtout ses écrits phares sur lesquels est ancré solidement, encore aujourd’hui, le socle de notre économie nationale : Bâtir le Québec et Le virage technologi­que.

Il n’y a d’ailleurs pas un jour où je ne vante pas, dans le cadre de mes fonctions, les avantages de Montréal et du Québec qui découlent de son héritage et de sa vision.

Oui, les crédits d’impôt pour les titres multimédia­s ont permis d’attirer et de faire naître une industrie florissant­e qui compte aujourd’hui plus de 12 000 emplois. Oui, l’audace de Bernard Landry et de Sylvain Vaugeois (l’instigateu­r de la rencontre avec les frères Guillemot) a mené à l’établissem­ent d’ubisoft, le plus important studio de jeux vidéo au monde...

Mais dans les faits, cette mesure fiscale, elle aura aussi et surtout permis de revitalise­r des quartiers moribonds de la métropole et de la capitale nationale. Il faut marcher aujourd’hui dans le Vieux-montréal, dans le Mile End ou dans le quartier Saint-roch à Québec pour y constater la formidable activité économique qui s’y dégage.

Elle est là, la véritable contributi­on à l’économie québécoise de Bernard Landry.

De Robert Bourassa à Lucien Bouchard, les premiers ministres du Québec ont eu leurs bureaux dans un édifice hideux de la Grande Allée, maladroite­ment appelé « Bunker » ou « Calorifère ».

C’est grâce à Landry si, aujourd’hui, le premier ministre s’assoit devant le même pupitre que Duplessis et que l’édifice Honoré-mercier est redevenu le haut lieu de pouvoir où se tient la plus importante réunion hebdomadai­re au Québec, le Conseil des ministres.

C’est aussi grâce à lui si le premier ministre jouit d’une résidence officielle à Québec, un appartemen­t de fonction sobre et de bon goût, avec une vue imprenable sur le majestueux fleuve Saint-laurent.

BONHEUR ET DÉCEPTION

J’ai partagé avec Bernard Landry des moments intenses de bonheur et de déception. Lors de l’échec électoral, dont la douleur ne pouvait être mieux transmise qu’à travers la caméra de Jean-claude Labrecque. Lors de mon trentième anniversai­re, à mes côtés jusqu’au petit matin. Lors de mon retour aux études, avec une lettre de recommanda­tion qui aurait pu me dispenser des examens d’entrée. Lors de mon mariage. Lors du décès de ma mère, survenu la veille de la naissance de mon premier enfant ; il m’avait serré dans ses bras, comme un fils. Il a toujours été là pour moi.

Bernard Landry a changé ma vie. Demain, à l’occasion de la commémorat­ion des luttes des Patriotes de 1837, j’irai saluer l’oeuvre de sa vie : le combat pour la liberté.

« J’AI PARTAGÉ AVEC BERNARD LANDRY DES MOMENTS INTENSES DE BONHEUR ET DE DÉCEPTION. » - Hubert Bolduc, président-directeur général de Montréal Internatio­nal et ex-attaché de presse de Bernard Landry

 ?? PHOTO D’ARCHIVES PIERRE-PAUL POULIN ?? Hubert Bolduc (à droite) se rendant aux funéraille­s de Bernard Landry en compagnie de l’ancien ministre Gilles Baril.
PHOTO D’ARCHIVES PIERRE-PAUL POULIN Hubert Bolduc (à droite) se rendant aux funéraille­s de Bernard Landry en compagnie de l’ancien ministre Gilles Baril.

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