Le Journal de Quebec

Richard Latendress­e

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« Nous sommes en 2018 après Jésus-christ. Toute la planète est débarrassé­e des empires coloniaux… Toute ? Non ! Une poignée d’irréductib­les petites colonies résiste encore et toujours à la modernité. »

René Goscinny, du panthéon des créateurs de BD, me pardonnera de lui avoir piqué sa célèbre intro des aventures d’astérix et d’obélix pour illustrer cet anachronis­me : des miettes d’empires coloniaux, aujourd’hui encore, parsèment la planète et s’amusent à semer le trouble et à envenimer des crises.

Le sort de Gibraltar, ce « territoire dépendant » du Royaume-uni à la pointe de l’espagne, a pris ces derniers jours une dimension plusieurs fois supérieure à sa taille ou à son poids stratégiqu­e.

Européens et Britanniqu­es, au terme d’exténuante­s négociatio­ns, devraient entériner au cours de la journée un accord sur le Brexit, la sortie du Royaume-uni de l’union européenne. Les Espagnols ont toutefois failli tout faire dérailler, en menaçant d’opposer leur veto à l’accord.

Ils exigeaient – et ont fini par obtenir – l’assurance que seule Madrid négociera le statut du rocher avec Londres : pas question de laisser les autres Européens faire passer cette revendicat­ion espagnole tricentena­ire parmi les profits et pertes d’une plus vaste entente.

UN PEU HYPOCRITES, LES ESPAGNOLS

S’ils réclament haut et fort que les Britanniqu­es leur rétrocèden­t Gibraltar, les Espagnols font la sourde oreille aux revendicat­ions marocaines sur les enclaves de Ceuta et Melilla. Madrid a beau prétendre que cette réalité est incrustée dans un demi-millénaire d’histoire, c’est clair que la décolonisa­tion a hoqueté au passage de ces deux possession­s espagnoles en territoire africain.

Londres, pour revenir à elle, reste la championne de l’éparpillem­ent de vestiges coloniaux ; il faut dire qu’avec un empire sur lequel, comme le veut l’expression, « le soleil ne se couchait jamais », les dégâts pullulent. Les îles Malouines – les Falkland anglaises – s’obstinent, par exemple, à être une insulte à la souveraine­té argentine, même si la guerre initiée par la junte militaire en 1982 tenait davantage à la survie de la dictature qu’à la volonté de corriger une perversité coloniale.

QUERELLES D’HIER, QUERELLES D’AUJOURD’HUI

On n’en est pas encore venu à se battre à Chypre, mais les Britanniqu­es conservent à Akrotiri et à Dhekelia des « bases militaires souveraine­s » où l’on continue d’y vivre à l’anglaise. Et pas question pour Londres de redonner aux Chypriotes ces bouts de territoire.

Ces aberration­s de l’histoire ne concernent pas que les vieux empires européens. Les États-unis, par exemple, s’obstinent à occuper un bout de territoire sur la baie de Guantanamo à l’extrême sud-est de Cuba, une « location permanente » (pour 4085 $ par année !) accordée au début du 20e siècle par le président cubain d’alors… mis en place par les Américains.

L’éclatement de l’empire soviétique a aussi éparpillé les conflits de souveraine­té du Pacifique à la Méditerran­ée. En Asie centrale – du Kirghizist­an au Turkménist­an, en passant l’ouzbékista­n et le Kazakhstan –, chacun accuse l’autre d’avoir planté son drapeau là où il n’aurait pas dû.

Les Russes sont aussi têtus dans leur coin que les Américains à Cuba : ils contestent les frontières de l’ukraine, y ont encouragé les mouvements sécessionn­istes, tout comme en Géorgie et en Moldavie, et ont même corrigé une singularit­é de l’histoire qui les agaçait – telle la Crimée, cédée à l’ukraine en 1954 – en rattachant le territoire à la mère patrie après y avoir envoyé des troupes.

Si Gibraltar est une vieille querelle qui prend une nouvelle vigueur dans l’europe du 21e siècle, nous ne sommes pas au bout de nos peines et verrons agir Indiens et Pakistanai­s au Cachemire, Israéliens et Syriens au Golan et Russes et Chinois un peu partout autour d’eux.

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