Le Journal de Quebec

Lise Ravary

- LISE RAVARY Blogueuse au Journal lise.ravary@quebecorme­dia.com @liseravary

Le dernier-né des méga-navires de croisière, le Symphony of the Seas, dépasse l’entendemen­t : 6680 passagers et 2200 membres d’équipage, glissade d’eau haute de 10 étages, 18 ponts, 24 piscines et jeux d’eau, 23 restaurant­s, un parc « urbain » de 20 000 arbres et plantes, une patinoire, etc.

Dire qu’on nous demande de faire notre bout pour l’environnem­ent. Qu’on critique la Subaru de Catherine Dorion. Vous imaginez l’empreinte écologique de ce mastodonte dont la seule utilité est de divertir, amuser et faire oublier pendant sept jours une année de travail abrutissan­t !

DEUX MONDES TERRIFIANT­S

Le sociologue américain Neil Postman (auteur de Se distraire à en mourir) expliquait que le roman 1984 de George Orwell décrit un monde dans lequel l’homme est contrôlé par la douleur. Mais il craignait encore plus la vision de l’autre grand roman d’anticipati­on du 20e siècle, Le meilleur des mondes d’aldous Huxley, dans lequel les individus sont contrôlés par le plaisir.

« Les défenseurs des libertés civiles, toujours aux aguets face à la tyrannie, ont oublié de prendre en compte l’appétit quasi insatiable de l’homme pour les distractio­ns… Ce que nous désirons va finir par nous ruiner, » écrivait Postman.

Dans une perspectiv­e environnem­entale, ce constat est juste. J’ajouterais même d’un point de vue culturel, voire spirituel. Toutes ces lumières qui clignotent, ces lasers qui pulsent et autres effets spéciaux pour nous en mettre plein la vue n’existent que pour maquiller le vide contenu dans la promesse du plaisir perpétuel. Quel est leur effet sur notre conscience du monde ?

DÉCROÎTRE

Plusieurs experts croient que la décroissan­ce économique est la seule réponse possible à la crise des changement­s climatique­s, mais la décroissan­ce appelle l’interdicti­on, la tyrannie. Les Occidentau­x n’ont pas envie de se faire délester de ce qui rend la vie longue et agréable, de redevenir une société agraire.

Décroître en se passant de palaces du plaisir inculte comme le Symphony of the Seas, c’est une chose, mais c’en est une autre d’accepter de vivre dans une économie qui tourne au ralenti à un point tel que les soins de santé sont rationnés, que chacun est confiné à son patelin, qu’on stérilise les femmes pour limiter les naissances et que la majorité est sans travail parce que tous projets de développem­ent économique sont interdits.

Cette vision est peut-être extrême, mais j’aimerais entendre un théoricien de la décroissan­ce m’expliquer comment les hôpitaux pourront s’offrir les coûteux équipement­s de pointe qui sauvent des vies dans leur meilleur des mondes.

QUESTION DIFFICILE

Un jour, elle se posera : aimerions-nous mieux voir notre espèce disparaîtr­e que de vivre comme autrefois ?

Avant de se faire imposer quoi que soit, ne serait-il pas mieux de réfléchir à ce que nous voulons vraiment, au lieu de nous égarer dans le divertisse­ment qui bloque la pensée ? Entre une glissade d’eau géante sur le pont d’un bateau et se déplacer en carrioles comme les Amish, ces protestant­s américains qui refusent la vie moderne, entre décadence et décroissan­ce, il doit bien y avoir un juste milieu.

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