Le Journal de Quebec

Mohamed Ben Salmane et sa nouvelle virginité politique

- fatima.houda-pepin @quebecorme­dia.com

Depuis l’assassinat du journalist­e Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’istanbul, il y a huit semaines, par les fiers-à-bras de Mohamed Ben Salmane (MBS), les colonnes du temple du régime wahhabite se sont mises à trembler.

Tous les signes pointaient vers lui avant que la CIA ne le désigne formelleme­nt comme le grand responsabl­e de ce meurtre sordide et l’accuse de l’avoir commandité.

IMPUNITÉ POUR UN DESPOTE

Même le président Trump avait admis que l’enregistre­ment de cet assassinat crapuleux en était un de « souffrance […] C’était très violent, très brutal et terrible. » Pourtant, il a choisi de fermer les yeux sur les atrocités de ce crime. Au nom d’une certaine idée de l’« America First », il a plutôt choisi d’être du mauvais côté de l’histoire en dédouanant son ami MBS.

Il lui offre ainsi une impunité qui, si elle ne convainc personne, lui permet de se pavaner, comme si de rien n’était, en se faisant inviter dans des « pays amis » et en participan­t à des forums internatio­naux.

Bientôt, les grands leaders du monde démocratiq­ue vont tourner la page et lui dérouler le tapis rouge.

La tragédie dont nous sommes témoins se déroule en trois actes. Le pre- mier s’est joué sur la scène nationale, en Arabie saoudite même. Pour éviter une révolte de palais, le roi Salmane a repris du service et renoué avec les notables du royaume.

Le deuxième acte s’est amorcé, sur le plan régional, la semaine dernière, par une tournée de MBS auprès de certains pays arabes « alliés ».

UNE TOURNÉE DE LA HONTE

Tout a commencé le 22 novembre, avec un communiqué de l’agence saoudienne, SPA, annonçant que MBS « avait quitté Riyad pour visiter un certain nombre de pays amis », sans les nommer et sans en préciser l’échéancier. C’est son premier voyage à l’étranger depuis le meurtre de Jamal Khashoggi.

La première destinatio­n est la plus sûre, les Émirats arabes unis, où MBS a été accueilli par le prince héritier, cheikh Mohammed Bin Zayed Al-nahyan, également commandant suprême adjoint des forces armées. Il est à la fois son mentor et son compagnon d’armes dans la guerre sanglante du Yémen.

Par contre, dès que les citoyens tunisiens et algériens ont appris la nouvelle de la visite de MBS dans leurs pays, leur colère a éclaté. Ils y ont vu une tournée de la honte et une opération de marketing politique.

Des caricature­s violentes circulent sur les médias sociaux et un hashtag en arabe disait clairement « Pas de bienvenue pour MBS ».

En Tunisie, l’indignatio­n était à son paroxysme quand les Tunisiens ont appris que cette visite, prévue pour demain, 27 novembre, était à l’invitation de leur président, Beji Caid Essebsi.

Placée sur la sellette, la présidence a été forcée de corriger le tir. Non, MBS n’a pas été invité par le président de Tunisie, il s’est invité lui-même.

Le Syndicat national des journalist­es tunisiens (SNJT) a promptemen­t adressé, le 23 novembre, une lettre ouverte au président de la République tunisienne.

On y parle d’indignatio­n et de visite « provocante ». Les Tunisiens se battent pour la démocratie depuis des décennies. C’est le berceau du Printemps arabe. Accueillir le despote MBS dans leur pays est une insulte à leur intelligen­ce.

« Mohamed ben Salmane est un véritable danger pour la paix et la sécurité dans le monde. Il est l’ennemi de la liberté d’expression », écrit le SNJT.

De plus, une cinquantai­ne d’avocats, représenta­nt des journalist­es, des blogueurs et des juristes, ont été mandatés pour porter plainte devant les tribunaux tunisiens sur l’implicatio­n de MBS dans le meurtre de Khashoggi. Même colère dans la société civile algérienne qui proteste contre l’arrivée de MBS.

Reste le troisième acte, il se jouera le 30 novembre prochain, lorsque MBS fera son entrée au G20 à Buenos Aires. Il s’entretiend­ra business as usual avec les leaders occidentau­x. Sa rencontre avec le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, sera particuliè­rement à surveiller.

Bientôt, les grands leaders du monde démocratiq­ue vont tourner la page et lui dérouler le tapis rouge.

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FATIMA Politologu­e, consultant­e internatio­nale et conférenci­ère

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