Le Journal de Quebec

Dicaire championne du monde ?

- RÉJEAN rejean.tremblay@quebecorme­dia.com TREMBLAY

Faut être patient. Faut être vraiment patient en fait. C’est facile de hausser les épaules et de dire : Marie-ève Dicaire, championne de quoi au juste ?

C’est vrai. Il y a quatre ou cinq boxeuses potables tout au plus chez les 154 livres. Chanceuse, Marie-ève Dicaire va affronter une des cinq, samedi à Québec.

Mais qui, chez les amateurs de boxe, va accorder la même crédibilit­é au combat de Marie-ève qu’à celui d’adonis Stevenson ? Chez les 175 livres, hommes, toutes associatio­ns confondues, il y a au moins 20 guerriers capables de livrer un bon combat. Prenez le temps d’aller consulter les classement­s mondiaux, vous allez le constater.

Et pourquoi cette idiotie sexiste de forcer des jeunes femmes en grande forme à se battre dans des rounds de deux minutes? Si elles sont vraies, qu’on les laisse se battre selon les règles internatio­nales de la boxe.

Les femmes ne jouent pas des manches de quatre jeux au tennis. Au hockey, les femmes ne jouent pas des périodes de 15 minutes. Pourquoi des rounds de deux minutes ? Parce que de vieux machos sud-américains qui président les associatio­ns internatio­nales de boxe l’ont décidé, « pour protéger les femmes fragiles » ? Voyons donc !

ATTEINDRE LA PARITÉ

Pourquoi faut-il être patient ? Parce que la boxe féminine va progresser. Les débuts du tennis féminin furent pénibles. Qu’on se rappelle des efforts de Billie Jean King pour faire avancer la cause des femmes dans le tennis. Même chose dans le golf et dans le basketball. Les premiers tournois de hockey féminin provoquaie­nt des moqueries et des grosses farces plates. Les femmes ont gagné le respect du monde sportif à Nagano en 1998, et depuis, la finale olympique de hockey féminin récolte des assistance­s presque aussi énormes que la finale des hommes. Et à Salt Lake City (2002) et à Sotchi (2014), le match de la médaille d’or des femmes était meilleur que celui des hommes.

Le problème de toutes ces démarches vers la parité est toujours le même. Arriver à créer un bassin de joueuses capables de rivaliser avec le bassin du pendant masculin. Au golf et au tennis, le travail a été accompli grâce aux efforts colossaux de grandes championne­s comme Martina Navratilov­a, Steffi Graf, Serena Williams et Maria Sharapova.

La clé demeure commercial­e. Le jour où une finale entre Chris Evert et Navratilov­a a attiré autant de téléspecta­teurs qu’une finale opposant Ivan Lendl à John Mcenroe, les femmes ont mérité le droit d’empocher des bourses égales dans les tournois du Grand Chelem.

PROPULSÉE PAR LES OLYMPIQUES

Ce qui va propulser la boxe féminine, c’est son admission aux Jeux olympiques depuis les Jeux de Londres, en 2012. Des milliers de jeunes filles dans le monde choisissen­t la boxe pour accomplir leur rêve : participer aux Olympiques. Elles sont des centaines dans les catégories de poids inférieure­s à s’entraîner en Chine, en Thaïlande ou au Vietnam. Le rêve, c’est les Jeux de Tokyo en 2020. Quand elles vont toutes débarquer sur la scène profession­nelle, je vous préviens que Kim Clavel va avoir du travail.

Et soit dit en passant, le clivage sport masculin et sport féminin n’existe plus. S’il existe, de toute façon, il doit dispa- raître. La boxe est aussi féminine que l’haltérophi­lie ou le hockey. C’est une notion qui va d’ailleurs disparaîtr­e en Occident. Il va même falloir songer au sort qu’on va réserver aux transexuel­s.

Au tennis, Renée Richards, ex René Richards, a joué dans les tournois féminins. Elle n’a pas été dominante malgré ses 6 pieds et 3 pouces. À la boxe, ça pourrait être plus problémati­que. Mais on franchira le pont quand on arrivera à la rivière.

OBSTACLES

Marie-ève Dicaire, si elle n’est pas encore championne, est déjà une pionnière. À cause de sa personnali­té, à cause de son intelligen­ce et de son charisme, elle est une grande vendeuse de son sport. Elle est au sommet et elle n’est pas responsabl­e de la largeur de la base de sa pyramide.

J’espère que dans les prochains mois, surtout si elle devient championne, Marie-ève Dicaire défendra haut et fort le droit des femmes de disputer des rounds de trois minutes. Présenteme­nt, une bonne boxeuse comme elle n’a que deux minutes pour établir une stratégie dans un round. La tendance pour de nombreuses boxeuses est de se garrocher au début des rounds en se disant qu’ils ne durent que deux minutes. Dans le fond, c’est plus dangereux pour les athlètes que des rounds de trois minutes. Heureuseme­nt, Yvon Michel pense de même et des démarches sont déjà entreprise­s auprès des fédération­s internatio­nales pour faire changer la réglementa­tion.

En attendant, le sport progresse et elles sont quelques championne­s dans le monde à vendre des tickets et des galas télévisés avec un très beau résultat.

J’espère que Mme Dicaire fera bientôt partie de ce petit groupe de privilégié­es.

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PHOTO D’ARCHIVES, MARTIN CHEVALIER Marie-ève Dicaire est déjà une pionnière.
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