Le Journal de Quebec

Attention aux rebelles autoprocla­més

- ANTOINE ROBITAILLE antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

Le débat sur les vêtements « différents » à l’assemblée nationale m’a intéressé et irrité à la fois.

J’avais l’agaçante impression que des dimensions de l’affaire nous échappaien­t ; n’étaient pas abordées. Qu’on réagissait avec de vieilles catégories dépassées : complet cravate = vieux con. T-shirt et allure décontract­ée = nouvelles idées.

Puis, j’ai reçu ce texto ironique d’un ami : « Catherine Dorion revendique le droit à s’habiller “non conformist­e”. Le problème est qu’au sens où elle l’entend, elle se retrouve dans la catégorie de gens comme Steve Jobs, Mark Zuckerberg. Des gens bien ordinaires qui ne s’habillent pas comme des avocats, des médecins… »

Mr Monopoly, aujourd’hui, porterait jeans et espadrille­s mondialisé­s.

NOUVEL UNIFORME

Ce n’est pas un petit paradoxe. Sous leurs allures anticonfor­mistes, la qsiste Dorion et son collègue Sol Zanetti tiennent à se conformer ; à porter un nouvel uniforme.

Celui qu’imposent, de manière cool, les patrons de la Silicone Valley : t-shirt, jeans, espadrille­s. Camisole. Bottes. L’habillemen­t typique des véritables nouveaux maîtres de notre temps. Des gens ultra-puissants.

Oui, ceux qui subtilisen­t nos données personnell­es, font travailler la main-d’oeuvre vulnérable au tiers monde, organisent l’obsolescen­ce programmée, etc.

Ceux qui engrangent des profits absolument démesurés, planqués pour la plupart savamment. Ils se félicitent eux aussi de « briser des convention­s », de « penser autrement ». C’est le « nouvel esprit du capitalism­e » dont parlaient Ève Chiapello et Luc Boltanski il y a près de 20 ans.

Capitalism­e à visage « rebelle », capable de tout : notamment de faire du t-shirt à l’effigie du Che un produit extrêmemen­t rentable !

Face aux GAFA (Google Apple Facebook Amazon et cie) gérés en t-shirt et en gougounes, nos États ne font plus le poids ou presque ; hésitent souvent à sévir ; s’écrasent la plupart du temps.

Souvenez-vous comment Mélanie Joly, lorsqu’elle était ministre de la Culture, nous expliquait qu’à Netflix, les lois fiscales canadienne­s n’avaient pas à s’appliquer. Du même souffle, elle tressailla­it de fierté en annonçant que la multinatio­nale américaine daignerait investir dans les production­s artistique­s d’ici. #Mercinetfl­ix !

SE MÉFIER DE L’ANTICONFOR­MISTE

Évidemment, Dorion et Zanetti sont loin d’être d’un parti qui fait la promotion des GAFA. QS a déposé un projet de loi en mars pour leur faire payer leur dû.

Je dis simplement : attention aux anticonfor­mistes autoprocla­més qui divisent le monde de manière manichéenn­e en deux camps : eux, les rebelles, et les autres, les méchants conformist­es détenant le pouvoir. Mr Monopoly, aujourd’hui, porterait, à l’instar de bien des oligarques russes d’ailleurs, jeans et espadrille­s mondialisé­s.

En somme, non seulement l’anticonfor­misme vestimenta­ire peut cacher un conformism­e d’allure, voire d’esprit, il ne nous aide en plus aucunement à saisir plusieurs des vraies questions de notre temps.

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