Attention aux rebelles autoproclamés
Le débat sur les vêtements « différents » à l’assemblée nationale m’a intéressé et irrité à la fois.
J’avais l’agaçante impression que des dimensions de l’affaire nous échappaient ; n’étaient pas abordées. Qu’on réagissait avec de vieilles catégories dépassées : complet cravate = vieux con. T-shirt et allure décontractée = nouvelles idées.
Puis, j’ai reçu ce texto ironique d’un ami : « Catherine Dorion revendique le droit à s’habiller “non conformiste”. Le problème est qu’au sens où elle l’entend, elle se retrouve dans la catégorie de gens comme Steve Jobs, Mark Zuckerberg. Des gens bien ordinaires qui ne s’habillent pas comme des avocats, des médecins… »
Mr Monopoly, aujourd’hui, porterait jeans et espadrilles mondialisés.
NOUVEL UNIFORME
Ce n’est pas un petit paradoxe. Sous leurs allures anticonformistes, la qsiste Dorion et son collègue Sol Zanetti tiennent à se conformer ; à porter un nouvel uniforme.
Celui qu’imposent, de manière cool, les patrons de la Silicone Valley : t-shirt, jeans, espadrilles. Camisole. Bottes. L’habillement typique des véritables nouveaux maîtres de notre temps. Des gens ultra-puissants.
Oui, ceux qui subtilisent nos données personnelles, font travailler la main-d’oeuvre vulnérable au tiers monde, organisent l’obsolescence programmée, etc.
Ceux qui engrangent des profits absolument démesurés, planqués pour la plupart savamment. Ils se félicitent eux aussi de « briser des conventions », de « penser autrement ». C’est le « nouvel esprit du capitalisme » dont parlaient Ève Chiapello et Luc Boltanski il y a près de 20 ans.
Capitalisme à visage « rebelle », capable de tout : notamment de faire du t-shirt à l’effigie du Che un produit extrêmement rentable !
Face aux GAFA (Google Apple Facebook Amazon et cie) gérés en t-shirt et en gougounes, nos États ne font plus le poids ou presque ; hésitent souvent à sévir ; s’écrasent la plupart du temps.
Souvenez-vous comment Mélanie Joly, lorsqu’elle était ministre de la Culture, nous expliquait qu’à Netflix, les lois fiscales canadiennes n’avaient pas à s’appliquer. Du même souffle, elle tressaillait de fierté en annonçant que la multinationale américaine daignerait investir dans les productions artistiques d’ici. #Mercinetflix !
SE MÉFIER DE L’ANTICONFORMISTE
Évidemment, Dorion et Zanetti sont loin d’être d’un parti qui fait la promotion des GAFA. QS a déposé un projet de loi en mars pour leur faire payer leur dû.
Je dis simplement : attention aux anticonformistes autoproclamés qui divisent le monde de manière manichéenne en deux camps : eux, les rebelles, et les autres, les méchants conformistes détenant le pouvoir. Mr Monopoly, aujourd’hui, porterait, à l’instar de bien des oligarques russes d’ailleurs, jeans et espadrilles mondialisés.
En somme, non seulement l’anticonformisme vestimentaire peut cacher un conformisme d’allure, voire d’esprit, il ne nous aide en plus aucunement à saisir plusieurs des vraies questions de notre temps.