Coupables d’être démocrates
Ça fait 12 ans que ça dure. De la saga des accommodements raisonnables en 2007 au projet de loi attendu du gouvernement Legault sur la laïcité, en passant par la charte péquiste des valeurs, le dossier litigieux des signes religieux prend beaucoup de place. Il est peut-être temps de se demander pourquoi.
Comment se fait-il que dans une société où les institutions elles-mêmes sont devenues laïques sans grands soubresauts, la question des signes religieux – celle du hijab dans les faits – en soit venue à phagocyter autant le débat politique ?
Hypothèse : cette même période de 12 ans coïncide avec l’accélération du déclin en dents de scie du Parti québécois et de son option souverainiste. S’y est ajouté le silence abyssal des libéraux face à Ottawa. Peu à peu, la question nationale, sous toutes ses formes, s’en est trouvée rayée de l’espace public et politique.
SUBSTITUT
Or, la nature, comme on le sait, a horreur du vide. La question nationale s’effaçant du radar, le dossier de l’interdiction des signes religieux en est devenu le principal substitut. Plusieurs en ont même fait un élément central de l’« identité » québécoise, alors que, dans les faits, très peu d’employés de l’état portent un signe religieux.
En visionnant le brillant documentaire d’alexandre Chartrand sur le combat des Catalans pour leur droit à l’autodétermination, cette pensée m’a traversé l’esprit. Présentement en salles, le film Avec un sourire, la révolution ! nous amène au coeur même du référendum catalan du 1er octobre 2017.
Face à une Espagne intransigeante et une Europe silencieuse, on y voit des Catalans de toutes les générations, indépendantistes ou non, lutter pacifiquement pour leur droit à décider eux-mêmes de leur avenir politique. C’est bouleversant de courage, de droiture et de ténacité.
La scène coup-de-poing : une journée de vote dans une école envahie par des policiers casqués pour déloger brutalement les citoyens paisibles venus faire leur choix référendaire. C’est à glacer le sang.
BRILLANT
On y voit aussi Carles Puigdemont, alors président de la Catalogne. Toujours d’un calme stoïque, cet homme respire la détermination. On connaît toutefois la suite. Depuis, il a dû partir en exil.
Le procès de 12 leaders indépendantistes accusés de sédition débute le 12 février à Madrid. De grandes manifestations contre le procès sont prévues en Catalogne. Leur bannière sera claire : « L’autodétermination n’est pas un délit ».
Mais qu’ont fait les Catalans pour mériter une telle répression ? Ils ont osé se comporter en démocrates. Aux yeux de l’espagne et de l’europe, c’est bien là leur seul « crime » passible de prison. Le tout, en plein XXIE siècle.
Sans comparer les deux contextes fort distincts, en voyant ce film, on mesure d’autant plus le vacuum qui s’est installé ici sur la question nationale. Au point même où, au Québec, on ne parle plus de référendum qu’en termes d’« épouvantail » ou de « menace ».
Nous en avons déjà oublié son caractère profondément démocratique. Pendant ce temps-là, on continue à se crêper le chignon collectif sur les signes religieux. On dirait bien que le substitut l’a emporté sur l’essentiel.