Lise Ravary
Vous avez 40 M$ qui dorment sous votre matelas, mais aucune intention de l’investir dans la relance d’une compagnie de taxis ? Votre banquier ne dit jamais non à vos projets ? J’ai une « affaire » pour vous.
Le courtier immobilier haut de gamme Sotheby’s a mis en vente au centre-ville de Montréal un manoir/ villa de style italien qui domine le Mille carré doré, là où les riches industriels victoriens ont construit, entre 1850 et 1930, leurs somptueuses demeures.
Seulement 30 % ont survécu au temps et aux efforts d’administrations municipales béotiennes pour les remplacer par des tours anonymes.
67 PIÈCES
Pour des versements mensuels d’environ 160 000 $, plus taxes, vous obtiendrez les clés de la Maison John-wilson-mcconnell, assurément la propriété la plus chère au Québec, avec ses 67 pièces, jardins et boisés sur deux acres et demi, sur le flanc sud du mont Royal. La reine a même déjà dormi dans la Chambre bleue de la maison, située au 1475 avenue des Pins.
Je n’ai pas réussi à connaître l’identité des occupants actuels de la maison, mais il s’agit bien d’une résidence privée. Construite à partir de 1913, elle a été occupée de 1925 à 1963 par la famille de John Wilson Mcconnell, directeur du défunt quotidien The Montreal Star.
Après sa mort, la maison, classée patrimoniale, a servi de prieuré aux bénédictins jusqu’en 2001.
Je n’essaierai pas de décrire cette demeure : allez voir les images en page 7 et au jdem.com/manoir. Pas de faux marbre, de poutres en styromousse ou de planchers de bois laminé en vue.
PATRIMOINE
Quel touriste nous visitera pour nos tours à condos ou pour les faux châteaux pour joueurs de hockey à Brossard ?
Par contre, une balade dans les rues du Mille carré doré historique, bien que défiguré par la modernité, demeure une activité agréable et recherchée.
Je l’ai dit, je me bats contre la nostalgie, mais cette époque, quand Montréal était une ville richissime (75 % de la richesse du Canada appartenait à 50 résidents, dont quelques francophones, du Mille carré doré), ne reviendra pas, emportée par le déclin amorcé de l’occident.
Les capitaines d’industries qui ont construit ces splendeurs n’avaient pas toujours les mains propres et portaient sur les conquis que nous étions un regard situé entre la condescendance et le mépris. Mais ils nous ont laissé un patrimoine bâti d’exception.
LE FUTUR
Aujourd’hui, il n’y a que les Asiatiques, les Saoudiens – et les milliardaires occidentaux – pour se permettre de telles folies, et encore. Il faut avoir du goût.
Donald Trump habite un appartement 100 % doré, d’un kétaine fini, dans une tour de verre sans âme ni beauté.
Qui va ériger les splendeurs patrimoniales de demain ?
Dans un monde où la noblesse et la religion, vecteurs traditionnels de transmission culturelle, se sont effondrées, fini cathédrales et châteaux éternels. Il y aura peu de nouveaux Chambord, Neuschwanstein ou NotreDame.
Évaluée à 127 M$, la maison de Bill Gates ne passera pas à l’histoire de l’architecture, mais à celle de la technologie.
Et nous, nos riches, quelles demeures patrimoniales laisseront-ils à la postérité ? Un condo au Ritz ne compte pas.