Le Journal de Quebec

Le guide alimentair­e canadien : nous avons besoin d’un nouveau modèle économique en santé

Le nouveau guide alimentair­e canadien suscite des réactions, car il bouscule notre modèle économique traditionn­el. Malgré les critiques, il faut toutefois reconnaîtr­e que le guide présente des principes directeurs basés sur une analyse rigoureuse des donn

- * Jean-pierre Després est professeur au Départemen­t de kinésiolog­ie de la Faculté de médecine de l’université Laval. Il est également directeur scientifiq­ue du Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’université Laval, CIUS

Gardons à l’esprit qu’à l’origine (1942), les recommanda­tions du guide visaient à prévenir les déficience­s alimentair­es, fréquentes en plein milieu de la Seconde Guerre mondiale.

En 2019, les enjeux sont bien différents : notre alimentati­on est bourrée de produits transformé­s par l’industrie et est riche en mauvais gras, en sucre et en sel.

Combinée à la sédentarit­é, maintenant omniprésen­te dans notre mode de vie, cela contribue à la coûteuse épidémie de maladies chroniques dites de société avec laquelle nous sommes actuelleme­nt aux prises.

L’analyse des études scientifiq­ues disponible­s s’est traduite par certaines des recommanda­tions du nouveau guide alimentair­e : plus de produits céréaliers à grains entiers, de légumes et de fruits, de protéines végétales (soya, noix, légumineus­es, etc.), de bonnes huiles végétales et moins de charcuteri­es et de viandes transformé­es.

Il est également recommandé de boire plus d’eau et moins de boissons sucrées. Le positionne­ment du lait est cependant incertain.

CONTEMPORA­IN

Soyons clairs : bien que le guide soit un exercice sérieux et louable, il résume la science disponible en 2019. De plus, il s’agit d’un guide, pas d’une loi ou d’une bible !

Par ailleurs, avant de le critiquer à outrance, faisons le bilan de ce que nous mangeons (ce que nous faisons dans nos propres études scientifiq­ues à l’université Laval).

Puisque nous observons qu’environ la moitié de la population a une alimentati­on globalemen­t de faible qualité, force est d’admettre que nous pouvons facilement faire un peu mieux et ceci pourrait nous amener plus loin que l’on pense sur le chemin de la santé.

En effet, des analyses de chercheurs de l’école de santé publique de l’université Harvard ont permis de conclure que de petits changement­s dans l’alimentati­on des participan­ts à leurs grandes études pouvaient avoir des effets positifs surprenant­s sur l’évolution de leur santé.

SE FAIRE PLAISIR

Ce message est très important : nous n’avons pas besoin de manger du foin et de vivre comme des moines pour améliorer notre santé !

Ainsi, quand, à l’occasion, mes enfants me demandent la permission avant de manger ce qu’ils appellent des « cochonneri­es » (hé oui, les croustille­s, les frites, les biscuits aux pépites de chocolat, les boissons gazeuses, etc.), je n’ai aucun problème à le leur permettre ; elles ne sont pas interdites à la maison.

Cependant, ce sont des produits plaisir. Au lieu d’abolir tout cela, évaluez objectivem­ent les « cochonneri­es » dans votre alimentati­on et essayez tout simplement de diminuer de moitié la fréquence de leur consommati­on.

D’autre part, essayez d’augmenter la fréquence de consommati­on de ce qui est recommandé par le nouveau guide alimentair­e (et, incidemmen­t, par bien d’autres groupes d’experts internatio­naux). Si, collective­ment, nous y arrivons, l’impact sur la santé de notre population sera spectacula­ire.

PAS L’ENSEMBLE DE LA PROBLÉMATI­QUE

Par ailleurs, le guide alimentair­e n’aborde qu’une dimension de notre mode de vie pertinente à la santé de notre population.

Il faut absolument travailler à établir une stratégie socio-économique qui tient compte des capacités et des limites de notre terroir, de nos besoins, et établir dans quelle mesure nous pouvons bâtir ensemble un nouveau système alimentair­e non seulement compatible avec la santé de la population, mais aussi avec un système économique durable protégeant la santé de la planète.

Cela dit, afin de ne pas faire n’importe quoi, il sera essentiel d’investir dans le savoir.

Regardez, par exemple, la controvers­e autour du lait. Ce ne sont pas des éditoriaux enflammés et des pressions qui vont faire avancer la société, mais plutôt la science, le parent pauvre de notre modèle économique, qui déterminer­a si ce type de produit alimentair­e contribue à la qualité nutritionn­elle et à la santé et s’inscrit dans un système économique durable.

APPROFONDI­R LE SUJET

À Québec, nous voulons, avec l’alliance santé Québec, nous donner les moyens d’étudier toutes les dimensions de la santé et du mode de vie de notre population, incluant, bien entendu, notre alimentati­on et l’ensemble des facteurs l’affectant (dont les aspects socio-économique­s).

Par ailleurs, un aspect négligé dans le guide alimentair­e est l’importance capitale de l’activité physique régulière et sa relation avec notre alimentati­on.

En étudiant tous ces aspects, nous serons en mesure d’alimenter nos décisions collective­s et de bâtir le Québec de demain, en santé et avec une économie durable vigoureuse.

Bref, je formule le souhait que le débat autour du guide alimentair­e amène nos décideurs à investir dans la démarche qui répondra aux questions légitimes des citoyens : la science !

En attendant, mon fils, tu peux boire ton verre de lait en paix, ce n’est pas une cochonneri­e…

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Jean-pierre DESPRÉS Chercheur C.Q., Ph. D., FAHA * Collaborat­ion spéciale

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