Le Journal de Quebec

La fierté de Sylvie Bernier

35 ans après sa médaille d’or

- Alain Bergeron l Abergeronj­dq

Sa médaille d’or usée par « tellement de gens qui l’ont touchée » n’a rien perdu de sa valeur, 35 années plus tard. Depuis le lundi 6 août 1984, lorsqu’elle est devenue championne olympique au tremplin de 3 mètres des Jeux de Los Angeles, cette médaille symbolise encore aujourd’hui la réussite qui a dicté la vie de Sylvie Bernier.

La passion pour son sport, la discipline, les sacrifices durant son adolescenc­e et la conscience du travail bien fait ; toutes ces vertus opéraient déjà chez la plongeuse alors âgée de 20 ans.

Forcément, un taux de confiance élevé portait l’athlète native de Sainte-foy, au matin de cette compétitio­n historique, quand elle avait ouvert les rideaux de sa fenêtre donnant sur le ciel sans nuages de la Californie. À sa colocatair­e du moment, elle lui avait lancé tout naturellem­ent : « Quelle belle journée pour gagner une médaille d’or ».

Pourtant, Sylvie Bernier débarquait dans un champ de mines à ces Jeux. L’américaine Kelly Mccormick, favorite de l’épreuve, avait les États-unis à ses pieds. Fille de Patricia Mccormick, légende vivante du plongeon avec quatre médailles d’or aux Jeux olympiques de 1952 et 1956, elle avait fait l’objet d’un long reportage dans le magazine Sports Illustrate­d et des scènes avec sa célèbre mère avaient déjà été tournées par le réseau ABC, prêtes pour diffusion suivant sa victoire attendue à Los Angeles.

« J’ai toujours été une athlète réservée et introverti­e. Aux Jeux panamérica­ins et du Commonweal­th, j’avais dit que je me sentais bien, mais jamais je ne disais que j’allais gagner. La veille de la compétitio­n aux Jeux de Los Angeles, par contre, c’était la première fois que je disais à des journalist­es “je suis ici pour gagner”. C’était la première fois que je le sentais vraiment », se souvient Sylvie Bernier.

VISUALISAT­ION EFFICACE

Cette profonde assurance résultait d’une remarquabl­e technique de visualisat­ion appliquée durant les deux années précédente­s. Cette journée du 6 août 1984, la Québécoise l’avait construite dans son esprit.

Parallèlem­ent à la maîtrise de ses figures en vol, tout l’environnem­ent à ce théâtre olympique était défini. Vraiment tout : son lever, son déjeuner, le chemin vers la piscine, le réchauffem­ent avant le concours, la sieste d’après-midi, etc.

Six mois avant les Jeux, une visite à University of Southern California, où allait se dérouler la compétitio­n, avait permis de fignoler son scénario avec plus de détails : l’emplacemen­t du bassin et des estrades, les sièges où ses parents allaient s’asseoir, le tremplin utilisé, le trajet menant au podium, la musique et les fleurs de la cérémonie, etc.

ISOLÉE GRÂCE À SON « WALKMAN »

Il restait maintenant à exécuter les plongeons répétés des milliers de fois. Pour éviter de se faire aspirer par l’appui réservé aux Américaine­s Kelly Mccormick et Christina Seufert, éventuelle­ment médaillées d’argent et de bronze, Bernier s’isolait entre chaque ronde avec la chanson What A Feeling du film Flashdanse, les oreilles emplies par le son de son précieux « walkman » jaune.

« C’est pour ça que j’avais tout préparé. Je ne voulais pas écouter la foule parce que je savais qu’elle était derrière les Américaine­s. Je n’entendais rien, j’étais tellement concentrée.

Quand j’arrivais sous le tremplin, je déposais mon walkman jaune au même endroit et je le reprenais tout de suite après être sortie de l’eau », dit-elle.

Le sport s’est occupé du reste. Constante du premier à son 10e saut, Sylvie Bernier a devancé toute autre rivale. Mccormick, dernière à s’exécuter, n’a pas réussi à rejoindre la meneuse du moment et a dû lui concéder la médaille d’or.

« À ma sortie de la piscine, c’est Cristina Seufert qui m’a annoncé : “You’re winning”. Je ne comprenais pas. J’étais juste heureuse d’avoir bien plongé. Ma satisfacti­on était là. J’avais le sentiment que je n’aurais pas pu mieux plonger. J’aurais pu terminer 3e ou 4e, mais je n’aurais jamais pu dire que j’étais déçue. »

APRÈS-CARRIÈRE RÉUSSIE

Diplômée en administra­tion des affaires, détentrice d’une maîtrise de l’université Mcgill, conférenci­ère, auteure, porte-parole de multiples causes et ambassadri­ce de saines habitudes de vie, Sylvie Bernier dit profiter du recul nécessaire, 35 ans après son sacre olympique, pour apprécier sa transition après sa carrière de plongeuse.

À commencer par son rôle de maman et sa famille de trois enfants, « l’équilibre de ma vie » à la base de « ma sérénité ».

« Je suis aussi fière aujourd’hui de mon après-carrière que de ma médaille d’or. Quand j’avais gagné, je me souviens avoir dit aux gens près de moi : ma médaille, je la range dans le tiroir et j’espère, un jour, dans 30 ou 40 ans, que j’aurai accompli autre chose, pas pour le monde, mais pour moi, pour me dire que ma vie n’allait pas s’arrêter à l’âge de 20 ans. »

« C’était vraiment important pour moi que je ne puisse pas parler seulement de ma médaille. J’avais aussi le désir d’apprendre, le désir de m’améliorer, et aujourd’hui le plaisir de donner. »

Autre scénario visualisé avec succès…

Ces résultats historique­s du mois de février 1984, de la part d’un athlète originaire comme elle de la région de Québec, ont conforté sa décision d’être « partie en autobus avec ma valise » pour de meilleures installati­ons d’entraîneme­nt au Centre Claude-robillard, malgré tous les sacrifices que ça imposait.

UNE RENCONTRE MAGIQUE

Encore inconnue cinq mois avant les Jeux de Los Angeles, la plongeuse avait voulu bonifier sa préparatio­n en rencontran­t le patineur désormais légendaire qui surfait sur la gloire. Par l’entremise de Pierre Lacroix, devenu entre-temps l’agent de Boucher afin de gérer l’explosion de sa carrière, elle obtient le numéro pour le joindre. Intimidée, elle l’attrape au téléphone et, quelques jours plus tard, les deux athlètes – qui ne se connaissai­ent pas – partagent un repas dans un restaurant de la rue Saint-denis.

« Ça faisait juste un mois qu’il avait gagné ses médailles, c’était encore la folie. Du champagne arrivait soudaineme­nt sur la table! Quand on s’est laissé, je lui ai dit: sois certain que la prochaine fois, le champagne va venir pour moi », raconte Bernier.

TOC ! TOC ! C’EST MOI…

La plongeuse a vécu à son tour son sacre olympique au mois d’août suivant, le temps a filé, puis une vingtaine d’années plus tard, elle a sauvé sa promesse.

« J’ai dit à mon conjoint, il faut que j’aille porter la bouteille de champagne à Gaétan. Je suis arrivée chez lui, il a ouvert la porte et je lui ai dit : tiens, la v’là ta bouteille ! » rigole l’ex-plongeuse, qui habite aujourd’hui à Rosemère le même quartier que son célèbre ami.

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PHOTOTO JEANJEAN-FRANÇOISFR­ANÇOIS DESDESGAGN­ÉS
 ?? PHOTO JEAN-FRANÇOIS DESGAGNÉS ?? Asthmatiqu­e sévère durant son enfance, le plongeon est entré dans la vie de Sylvie Bernier après qu’un médecin eut conseillé, afin de faciliter sa guérison, « qu’elle bouge sept jours sur sept ». À l’âge de 20 ans, le 6 août 1984, elle devenait championne olympique aux Jeux olympiques de Los Angeles. « C’est un cadeau d’avoir une passion dans la vie », répète-t-elle aujourd’hui.
PHOTO JEAN-FRANÇOIS DESGAGNÉS Asthmatiqu­e sévère durant son enfance, le plongeon est entré dans la vie de Sylvie Bernier après qu’un médecin eut conseillé, afin de faciliter sa guérison, « qu’elle bouge sept jours sur sept ». À l’âge de 20 ans, le 6 août 1984, elle devenait championne olympique aux Jeux olympiques de Los Angeles. « C’est un cadeau d’avoir une passion dans la vie », répète-t-elle aujourd’hui.
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