Perdre ses repères
Les démocrates américains ont tout un défi devant eux : se réconcilier avec l’héritage de Barack Obama ou rapidement se retrouver à court de bonnes idées. Parce que ce n’est pas ce que l’on a entendu au cours du débat de Detroit qui risque d’enflammer les passions.
Will Rogers – le prolifique acteur, auteur et commentateur américain de la fin du 19e, début du 20e siècle – avait trouvé la formule idéale pour tourner au ridicule le réflexe d’un certain nombre de ses compatriotes de s’entre-déchirer tout en partageant les mêmes idées : « Je ne suis membre d’aucun parti politique organisé ; je suis un démocrate. »
Ces mêmes démocrates, un siècle plus tard, se montrent fidèles à leur réputation. Plutôt que de capitaliser sur les acquis des huit années du dernier d’entre eux à occuper la Maison-blanche, ils crachent dans la soupe, repoussent ses réalisations, rejettent ses grandes décisions : en économie par-ci (« À gauche toute! »), en immigration par-là (« Déportez les illégaux ? Jamais ! ») et même en santé, la principale réussite de la présidence d’obama.
Rien à voir avec les républicains qui, pendant presque trente ans – en fait, jusqu’à l’élection de Donald Trump – ont juré par le mantra « Reagan, Reagan, Reagan », comme si rien de mieux n’avait jamais été réfléchi et conçu par les conservateurs américains. Les démocrates auraient pourtant intérêt à entonner leur propre « Obama, Obama, Obama », si ce n’était que pour la meilleure façon de remporter une élection présidentielle.
RACLER LARGE !
Parallèlement à un charisme indéniable, Obama et son équipe étaient parvenus à créer une coalition large et hétéroclite de jeunes et de femmes, de modérés et de catholiques, de minorités sexuelles et raciales. Ainsi, à sa dernière campagne en 2012, il avait récolté 93 % du vote noir et 71 % du vote latino. Aucun de ses potentiels successeurs – après l’échec lamentable d’hillary Clinton d’ailleurs – ne parvient à racler aussi large.
Jean-marc Léger, le fameux sondeur, synthétise efficacement l’électorat démocrate : la gauche radicale, les jeunes, les Blancs éduqués plus âgés et les Noirs. C’est d’ailleurs ce qui va coûter l’investiture à Pete Buttigieg, le jeune maire de South Bend, Indiana (parallèlement au fait qu’on puisse sérieusement douter que les Américains soient prêts à porter un gai à la présidence du pays) : son pouls est inexistant au sein de la communauté afro-américaine.
RIEN DE PARFAIT, BIEN SÛR
Ce qui ne veut pas dire que Barack Obama soit sans reproche, au contraire. L’impunité avec laquelle les investisseurs de Wall Street ont échappé aux conséquences de leurs comportements irresponsables – comportements ayant conduit à la pire crise économique depuis la Grande Dépression – a certainement inspiré un profond dégoût au sein d’un électorat de classe moyenne traditionnellement démocrate qui, au mieux, ne s’est pas présenté aux bureaux de vote en 2016, au pire s’est rangé derrière le candidat le plus dérangeant d’alors, Donald Trump.
Sa valse-hésitation dans la crise syrienne a fragilisé l’influence américaine dans la région, ouvert la voie à un violent engagement de la Russie et de l’iran en faveur de la dictature sanguinaire de Bachar al-assad, contribué à l’expansion du pseudo-califat des extrémistes de l’état islamique et, de manière générale, fait en sorte que cette sauvage guerre civile en soit maintenant à sa neuvième année.
D’autres erreurs ont été commises, aucun doute. Cela dit, maintenant que les deux mandats de sa présidence sont loin derrière les tourments apportés par trente mois de Donald Trump à la Maison-blanche, il n’est pas insignifiant de relever qu’obama reste – aux États-unis comme un peu partout à travers le monde – la personnalité la plus admirée.
Il continue d’incarner un certain espoir – de liberté, d’égalité et de fraternité comme disent nos cousins d’outre-atlantique – qu’aucun politicien tous partis confondus et peu importe le pays n’approche. C’est un atout que possèdent les démocrates. S’agit qu’ils ne l’oublient pas.