Le Journal de Quebec

Pas que la taille qui compte

- CLAUDE VILLENEUVE claude.villeneuve@quebecorme­dia.com

Il y a huit ans, mon village natal a été marqué par ce qui a sans doute été l’un des débats les plus agités de son histoire.

La mairesse de Métabetcho­uan–lacà-la-croix n’avait pas fait de mystère sur son intention de bonifier le salaire des élus municipaux suivant son élection. Pourtant, quand elle fit passer sa rémunérati­on totale de 23 000 $ à 44 000 $ par année dans une municipali­té de 4200 habitants, plusieurs ont trouvé que la pilule était beaucoup trop grosse à avaler.

La communauté était divisée : 1784 personnes signèrent une pétition demandant au conseil de refuser cette augmentati­on et 300 personnes assistèren­t à la séance où elle fut adoptée.

Lors des élections suivantes, la mairesse fut battue par l’ancien maire qu’elle avait elle-même sorti, promettant à son tour de baisser sa rémunérati­on. Il tint parole, fixant celle-ci à un peu moins de 35 000 $. Bref, tout le monde s’entendait sur le fait que le salaire initial n’était pas assez élevé, mais à quel niveau fallait-il l’augmenter ?

Ma municipali­té s’était déchirée pendant plus de deux ans à savoir comment elle devait rétribuer ses élus. Pendant qu’elle avait, comme toutes les villes, de grands défis de développem­ent et d’aménagemen­t à relever, cette question mobilisa l’attention des citoyens comme peu l’avaient fait auparavant et comme peu le feraient dans l’avenir.

Je suis convaincu que la mairesse de Montréal fait de très grosses semaines. Je n’ai aucune raison de penser que le maire d’alma travaille moins qu’elle.

LES « CRÉATURES »

Est-ce que c’est normal ? Est-ce normal que, dans certaines villes, la question de la rémunérati­on des élus prenne autant de place dans l’espace public ? Est-ce normal, surtout, que la tâche de fixer leur salaire soit confiée aux élus eux-mêmes ?

Évidemment que non. On entend trop souvent dire que les gouverneme­nts devraient être gérés comme des entreprise­s, mais s’il y a bien un endroit où on ne veut pas que les patrons fixent le montant de leurs propres dividendes, c’est bien en politique.

Pourtant, c’est directemen­t dans cette direction qu’on a avancé. En reconnaiss­ant les villes comme des « gouverneme­nts de proximité », formule si creuse qu’on entend l’écho quand on la prononce, Philippe Couillard voulait faire oublier aux villes ses pactes fiscaux « austéritai­res ». Cellesci voulaient être vues autrement que comme des « créatures du provincial », ce qu’elles sont par essence, ce qui ne veut pas dire qu’elles n’ont pas des responsabi­lités importante­s. Pour bien marquer qu’on leur accordait ce titre honorifiqu­e, on a fait sauter la ridicule fourchette qui établissai­t la rémunérati­on des élus des municipali­tés régies par la loi sur les cités et villes de 5000 $ à 110 000 $ par année. Méchante braguette !

On a donc fait plaisir aux maires en retirant un cadre qui n’en était pas un.

UN CADRE

C’est le contraire, qu’il fallait faire. Les élus municipaux ne peuvent pas, comme ceux du Québec ou du Canada, demander à un juge à la retraite de fixer le montant de leur rémunérati­on pour se débarrasse­r de la patate chaude. Il aurait donc fallu établir un cadre, fixer des échelons selon la taille de la municipali­té.

Et, attention, il aurait fallu les mettre plus haut, ces fameux échelons.

D’abord, aucun élu, fût-il à temps partiel, ne devrait gagner que 5000 $ par année. Même dans les plus petites municipali­tés, ils octroient des contrats beaucoup plus élevés et sont donc vulnérable­s aux influences des fournisseu­rs. La commission Charbonnea­u, ça vous dit quelque chose ?

Et, non, la taille de la ville ne devrait pas être le seul critère à faire entrer en ligne de compte. Des élus qui consacrent 60 heures par semaine à une très petite municipali­té, sans personnel politique et avec une fonction publique minuscule, j’en ai connu. Je suis convaincu que la mairesse de Montréal fait de très grosses semaines. Je n’ai aucune raison de penser que le maire d’alma travaille moins qu’elle. Cela dit, il faut rester conscient que les deux municipali­tés n’ont pas la même capacité de payer. Ça doit être ça, le critère.

LA VALEUR ACCORDÉE

Il faut quand même rester conscient que, pour certaines personnes, un élu se déplacerai­t sur le pouce et amènerait ses sandwichs aux réunions, on lui reprochera­it encore d’abuser des personnes qui l’embarquent ou de trop forcer sur la mayonnaise. La vérité, c’est que l’immense majorité des élus — paliers fédéral, québécois et municipal confondus — font un taux horaire inférieur au salaire minimum et c’est déjà trop pour beaucoup de gens pour qui faire de la politique est en soi une forme d’indignité.

À la fin, on n’hésite généraleme­nt pas à payer pour ce à quoi on accorde de la valeur. Au Québec, comme dans beaucoup d’autres sociétés, la vie publique n’en fait pas partie.

Merci aux Donald Trump de la Terre qui, trop nombreux, se rendent populaires en renonçant à leur salaire, contribuan­t ainsi à nous convaincre que ce qu’ils font ne vaut rien.

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Marc Asselin, maire d’alma
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Valérie Plante, mairesse de Montréal
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