LE COMBATTANT
Figure connue au Québec, l’ex-ministre et avocat Marc Bellemare a consacré une bonne partie de sa carrière, depuis 40 ans, à défendre les droits des victimes d’accidents d’automobile. Il garde d’ailleurs toujours espoir d’obtenir des modifications au régime en vigueur.
Marc Bellemare a grandi à Saint-hyacinthe, région agricole où son père travaillait comme agronome. « Je passais mon temps à me promener sur les fermes avec mon père, qui m’emmenait avec lui.
J’étais moins tannant dans ce temps-là, ç’a l’air », lance-t-il, sourire en coin.
Après avoir complété son secondaire à Granby, son collégial à Saint-hyacinthe et avoir fait son droit à l’université de Montréal, il aboutit à Québec en 1978, par amour. Démographe, la mère de ses trois premiers enfants – il en a cinq – s’était trouvé un emploi dans la capitale, et le couple s’y était donc installé.
Marc Bellemare complète alors son barreau et fonde son bureau, Bellemare Avocats, auquel se sont joints depuis son frère Jean et, plus récemment, l’un de ses fils, Bruno. « C’est un petit casse-tête pour les filles qui répondent au téléphone, car elles ne savent jamais à quel Bellemare le message s’adresse, mais on finit par trouver », raconte-t-il, amusé.
Rapidement, l’avocat se spécialise en indemnisation, après un stage à la Commission des accidents du travail, devenue depuis la CNESST. Au Barreau du Québec, il a également suivi une formation en assurance automobile.
À l’époque, on en est aux balbutiements de la Loi sur l’assurance automobile, instaurée par Lise Payette. Bon nombre d’avocats et le Barreau s’opposent à l’idée d’un régime public. « J’étais plutôt pour, je me disais qu’une fois qu’on l’aura, on l’ajustera pour le rendre plus acceptable pour la population, mais à partir de ce moment-là, il n’y avait plus de recours devant les tribunaux. Le “no fault” était en vigueur. »
Il constate toutefois « des exagérations dans le système ». Le fait que des personnes responsables d’accidents reçoivent aussi des indemnités, même si elles ont blessé ou tué, apparaît incongru. Puis, les familles de victimes ne peuvent poursuivre les chauffards responsables d’un décès.
« Je trouve encore que ça n’a pas d’allure, car ils viennent chercher des centaines de millions chaque année, et ça prive les vraies victimes d’indemnités plus importantes », dit-il.
L’avocat devient ainsi l’un des premiers à s’intéresser aux victimes d’accidents d’automobile dans ce contexte. « Je trouvais qu’il y avait beaucoup de défis dans la représentation des victimes, mais je trouvais qu’elles étaient assez mal outillées pour faire face à la machine. »
Il constate que personne ne s’intéresse vraiment aux victimes. Au contraire, lui aime les écouter et travailler avec elles. Tout est dans le lien de confiance, souligne-t-il.
DÉÇU PAR LA POLITIQUE
Les aberrations du régime d’assurance automobile, qu’il souhaiterait voir corrigées, amènent Marc Bellemare à faire le saut en politique. Il est approché par l’action démocratique du Québec, puis par les libéraux. Ses racines libérales n’étaient pas très profondes, « et sont encore plus courtes aujourd’hui », prend
il soin de préciser. Mais comme l’équipe de Jean Charest, à l’époque, est la seule à lui promettre les changements espérés, il fait le saut avec elle.
Élu député de Vanier en avril 2003, il est nommé ministre de la Justice. Il se met au travail pour réformer les tribunaux administratifs, de même que les structures régissant les indemnisations, jugées très imparfaites. Ces régimes concernent notamment les rentes, les victimes d’actes criminels, les accidents du travail et de la route.
Rapidement, Me Bellemare rencontre de la résistance. « J’ai compris que l’élection, c’est un peu un ramassis de promesses qu’on fait pour aller chercher des votes, et une fois l’élection arrivée, c’est un peu à recommencer. Alors un engagement politique, ça n’a pas beaucoup de valeur finalement. Ça dépend de la volonté du premier ministre, qui est le chef suprême du gouvernement. »
On promet entre autres beaucoup en matière de justice, mais très peu de ces promesses sont livrées. « On va parler plus qu’on agit », tranche-t-il.
Pendant l’année où il siège comme ministre de la Justice, il y a beaucoup d’action à Québec, avec le démantèlement très médiatisé d’un réseau de prostitution juvénile. En plus d’arrestations de gens connus, la machine à rumeurs éclabousse la classe politique. « C’était beaucoup de pression au plan politique », relate celui qui était beaucoup sollicité. « Je répondais aux questions, mais on me disait: “Marc, un ministre de la Justice, ça ne dit rien.” »
COMMISSION BASTARACHE
Puis, il constate la pression qu’imposent les collecteurs de fonds, au sein du Parti libéral du Québec, par rapport à la nomination des juges. Ses déclarations mèneront d’ailleurs à la commission Bastarache, « qui a fait la lumière là-dessus en partie », mais qui « demeurait un spectacle mis sur pied par Jean Charest pour tenter de [le] discréditer », estime-t-il.
Même si le commissaire Bastarache ne conclut pas à des pressions indues, il ne nie pas les pressions, rappelle l’avocat. « Je pense que les gens ont compris qu’il y avait un problème. »
Les fonds que doivent amasser les ministres pour le parti, les pressions pour les contrats, les sommes que le parti versait au premier ministre à titre de salaire : de nombreuses façons de faire le font sursauter. Il en sera question plus tard devant la commission Charbonneau.
Après un an, déçu, désillusionné de voir que le gouvernement ne livrait pas les engagements promis en matière de justice, Me Bellemare démissionne comme député et retourne à la pratique privée, ce qui l’occupe toujours aujourd’hui.
Marc Bellemare continue de dénoncer les aberrations du régime d’assurance automobile dès qu’une tribune lui est offerte. Les gouvernements, toutefois, dit-il, ne sont pas très à l’écoute. « C’est un secteur très complexe […], mais j’ai confiance qu’un jour ça puisse changer, qu’il y ait un ministre qui soit prêt à le faire. »
Il estime par ailleurs avoir beaucoup plus d’impact et de pouvoir comme avocat, « dans sa situation particulière avec une présence publique », que comme député et ministre, pour qui, considère l’avocat, il est difficile de faire bouger les choses.