Le Journal de Quebec

L’obésité : Arrêter d’en parler et agir !

- Jean-pierre DESPRÉS Chercheur – C.Q., Ph. D., FAHA * Collaborat­ion spéciale

Un autre rapport de l’organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE) a récemment reçu beaucoup d’attention des médias. Bien qu’on parle de l’épidémie mondiale d’obésité depuis maintenant plusieurs années, le rapport souligne que sa prévalence continue d’augmenter partout dans le monde et que les conséquenc­es sont majeures. Ainsi, dans 34 des 36 pays membres de L’OCDE, pratiqueme­nt un quart de la population est obèse, ce qui représente 50 millions de nouveaux cas d’obésité depuis 2010.

L’obésité (particuliè­rement l’obésité abdominale associée à un excès de gras intra-abdominal ou viscéral, dont vous avez entendu parler à plusieurs reprises dans cette chronique) est un puissant facteur de risque pour plusieurs maladies chroniques, comme le diabète de type 2, les maladies cardiovasc­ulaires, l’apnée du sommeil, le déclin cognitif et certaines formes de cancer, pour n’en nommer que quelques-unes.

Par ailleurs, le pronostic de santé et la qualité de vie à long terme des individus qui présentent de l’obésité sont diminués. Productivi­té plus faible et absentéism­e attribuabl­es à différents problèmes de santé sont également des éléments affectant la qualité de vie des personnes avec obésité.

Le taux d’obésité est plus élevé chez les personnes à revenus modestes, ce qui fait de cette condition un marqueur d’inégalités. Les études montrent également que les enfants présentant de l’obésité ont moins de chances de s’épanouir et d’avoir du succès à l’école. De surcroît, les personnes avec obésité, y compris les enfants, sont souvent stigmatisé­es.

MESURES SIMPLES

Dans son rapport, L’OCDE mentionne que les pays membres de cette organisati­on consacrent déjà 8,4 % de leur budget au traitement médical des maladies associées à l’obésité, ce qui équivaut à la somme astronomiq­ue de 311 milliards $ US.

On parle également d’une réduction moyenne de l’espérance de vie de 2,7 ans. Le rapport stipule que des mesures simples, comme diminuer de 20 % la teneur en calories des aliments trop riches et transformé­s par l’industrie, comme les croustille­s et les confiserie­s, pourraient éviter plus d’un million de cas de maladies chroniques par année, dont les maladies cardiovasc­ulaires.

Dans un tel contexte, L’OCDE ajoute que la prévention est rentable sur le plan économique puisque, selon son estimation, chaque dollar investi amènerait jusqu’à 6 $ de retombées économique­s. Dans un monde où l’on cherche des travailleu­rs, la réduction de l’absentéism­e et l’augmentati­on de la productivi­té équivaudra­ient à ajouter 134 000 nouveaux employés à temps plein par année dans l’économie, une statistiqu­e non négligeabl­e !

CIBLER LES CAUSES SOUS-JACENTES

Quoi faire de tout cela ? Voilà maintenant presque 10 ans que L’OCDE publie ce type de rapport qui jette un regard économique sur les conséquenc­es de l’obésité.

Est-il vraiment utile de cibler l’obésité en soi dans nos communicat­ions populaires et nos actions de santé publique ?

Est-il nécessaire de stigmatise­r les gens qui ont à vivre avec un excès de poids, particuliè­rement les enfants ? Comme l’ont révélé nos travaux de recherche sur le sujet réalisés à l’université Laval, il est beaucoup plus pertinent de cibler les causes sous-jacentes à cette obésité.

Celles-ci sont nombreuses et varient d’une personne à l’autre : statut socio-économique, environnem­ent familial, milieu de vie, offre alimentair­e de proximité et à l’école, environnem­ents sécuritair­es pour bouger et pour les transports actifs, qualité nutritionn­elle globale, santé psychologi­que, sédentarit­é, activité physique, exercice et pratique d’activités sportives, pour n’en nommer que quelques-unes.

VIE SÉDENTAIRE

Une fois ces facteurs permissifs identifiés, il faudrait les mesurer et les cibler en accompagna­nt et en outillant les personnes qui veulent améliorer leur santé et leur qualité de vie.

En effet, L’OCDE confirme ce que nous savions déjà : pour différents motifs, environ la moitié de la population a une alimentati­on de mauvaise qualité, 40 % de notre temps est passé à des occupation­s très sédentaire­s, environ le tiers de la population ne pratique pas d’activité physique (sous-estimation), et la consommati­on de fruits et de légumes est très loin de celle recommandé­e.

De plus, une espérance de vie réduite de 2,7 ans ne tient nullement compte du fait qu’un mode de vie sédentaire combiné à une alimentati­on de mauvaise qualité va rendre des centaines de milliers de Québécois malades beaucoup plus tôt. Le système de gestion de la maladie gardera ces personnes vivantes… mais malades.

Que faire alors ? Arrêter d’en parler et agir ! La politique de prévention du Québec est exemplaire. Le problème est qu’elle dort sur les tablettes ! À quand un véritable ministère de la promotion de la santé et de la prévention qui aura les moyens et les outils pour transforme­r la société québécoise : étiquetage nutritionn­el simple et clair ; menus avec indicateur­s simples et clairs de qualité nutritionn­elle ; campagne médiatique sur l’importance de mesurer et de surveiller son tour de taille ; campagne médiatique pour faire la promotion de l’activité physique et de l’importance d’être en bonne condition physique ; prescripti­on de l’activité physique et d’une alimentati­on variée et de qualité par les médecins de famille appuyés par des kinésiolog­ues et des nutritionn­istes ; système de santé informatis­é donnant de l’informatio­n aux profession­nels de la santé et du feedback aux patients ; milieux scolaire et de travail favorisant l’activité physique et la saine alimentati­on ; transport actif ; transports publics (métros, tramways, etc.) ; interdicti­on de faire la promotion de produits alimentair­es incompatib­les avec la santé auprès de nos enfants ; incitatifs fiscaux pour stimuler les industries à développer une offre alimentair­e compatible avec la santé humaine ; investisse­ment dans la science de la prévention ? Et cette liste est loin d’être exhaustive !

Au Québec, nous avons tout ce qu’il faut. Malheureus­ement, notre science de la prévention n’est pas mise au service de la population. L’OCDE nous confirme à nouveau que la prévention est un investisse­ment et non pas une dépense. Il est urgent de se mettre en marche.

* Jean-pierre Després est professeur au Départemen­t de kinésiolog­ie de la Faculté de médecine de l’université Laval. Il est également directeur scientifiq­ue du Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’université Laval, Ciusss-capitale-nationale, et directeur de la science et de l’innovation de l’alliance santé. Québec.

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