Le Journal de Quebec

Dear Mr. Scheer

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J’aimerais porter à votre attention quelque chose qui semble vous avoir échappé lors des dernières élections fédérales.

D’abord, vous avez perdu. Je veux bien croire que ça ne saute pas aux yeux, puisque le Parti conservate­ur a obtenu sous votre direction près de 240 000 votes de plus que les libéraux de Justin Trudeau.

Pourtant, je vous assure, dans notre système électoral bien imparfait, vous n’avez pas réussi à faire élire assez de députés pour former le gouverneme­nt.

Pour afficher votre déterminat­ion à rester chef, vous avez affirmé que vous aviez l’appui de votre équipe, de votre caucus et de millions de Canadiens qui veulent déloger le gouverneme­nt libéral.

Déjà qu’avec tous les appels à votre démission qu’on entend, on doute des deux premiers éléments, c’est sur le dernier que le jugement est le plus terrible pour vous. Il y avait en effet énormément de gens qui avaient envie de voter contre Justin Trudeau et vous n’avez pas su incarner à leurs yeux une option crédible. Faut le faire.

BÂTIR UNE COALITION

Tous les chefs conservate­urs qui ont dirigé le gouverneme­nt canadien avaient compris une chose. Pour faire gagner votre parti contre les libéraux qui n’ont à peu près qu’à s’en remettre à la loi de la gravité pour prendre le pouvoir une fois de temps en temps, il faut former une vaste coalition.

Celle-ci comprend les conservate­urs sociopétro­liers de l’ouest, les conservate­urs financiers de l’ontario et les nationalis­tes du Québec.

Pour relativise­r votre malheur électoral, vous aimez rappeler que vous avez fait progresser tant le nombre de votes que le nombre d’élus du Parti conservate­ur par rapport aux élections de 2015.

C’est vrai, sauf que cette progressio­n n’est survenue que dans l’ouest. En Ontario comme au Québec, provinces les plus pesantes électorale­ment, votre parti a eu moins de votes.

Bref, vous avez régionalis­é votre parti plutôt que de bâtir votre coalition. Vous vous êtes éloigné du pouvoir plutôt que de vous en rapprocher. Il n’y a pas de quoi se vanter, c’est la tendance naturelle du vote conservate­ur qu’il faut justement chercher à éviter pour gagner.

Tout ça, c’est notamment arrivé à cause de votre opposition personnell­e à l’avortement et de votre proximité avec certains groupes religieux. En

Ontario et au Québec où les électeurs sont modérés, ça ne passera jamais.

À moins de nous convaincre que vous pouvez changer de conviction­s, ce qui ne vous aidera pas davantage, vous ne pourrez pas récupérer cette situation. Tant pis pour vous.

TALENTUEUX

Vous êtes un politicien talentueux. Pour être élu député à 25 ans, vous avez joué de roueries et de coups durs pour déloger Lorne Nystrom, une légende du NPD ayant siégé à Ottawa pendant 32 ans.

Pour devenir le plus jeune président de l’histoire de la Chambre des communes en 2011, personne ne vous avait vu venir alors que vous récoltiez les appuis en coulisse.

Puis, vous êtes devenu chef du Parti conservate­ur en jouant l’esprit de coalition dont je parlais plus tôt en battant Maxime Bernier avec l’appui de ses collègues du Québec et des producteur­s de lait de son propre comté. Pour vrai, vous êtes un futé.

Malheureus­ement pour vous, ça n’a pas paru pendant la dernière campagne électorale et si vos partisans vous pardonnaie­nt peut-être d’avoir perdu après avoir tout donné, ils n’oublieront pas cette campagne bâclée où vous n’avez rien su incarner.

En politique, la déception est le sentiment dont il est le plus dur de se remettre.

Hélas, le politicien habile que vous avez été ne semble pas être capable de tirer par lui-même des conclusion­s devenues évidentes pour tout le monde.

Plutôt que de faire acte d’humilité, vous tirez à boulets rouges sur Justin Trudeau et Yves-françois Blanchet. Plutôt que d’admettre que vous devez convaincre à nouveau votre propre parti, vous continuez de prétendre que tout va bien. Vraiment, c’est mal parti pour vous.

PRÉCIEUX MOIS

L’avenir prévisible est donc que vous perdrez votre vote de confiance lors du congrès conservate­ur en avril prochain.

À ce moment-là, vous quitterez votre poste comme un gueux et on vous reprochera les précieux mois que vous aurez fait gaspiller à votre parti pour se réorganise­r face à un gouverneme­nt minoritair­e.

Surtout, vous aurez simplifié la vie de Justin Trudeau. Lui aussi, il espère très fort que vous restiez.

Vous êtes jeune, vous avez encore un avenir. En quittant la direction avec classe, vous pourrez encore occuper un rôle important dans votre famille politique après en avoir assumé la direction, comme Joe Clark et Stockwell Day avant vous. Vous aurez peut-être même un jour une autre chance comme chef, qui sait.

Mais de grâce, mettez fin rapidement à ce triste spectacle, parce qu’un chef qui a perdu ses élections à cause de ses positions sur l’avortement et qui n’a même plus l’appui des pro-vie de son parti, ça fait pitié en maudit.

Bonne réflexion !

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Vous vous êtes éloigné du pouvoir plutôt que de vous en rapprocher.

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