Le Journal de Quebec

AME SENSIBLE AU SERVICE DES AUTRES

ÉRIC BOULAY

- KARINE GAGNON Chroniqueu­se politique karine.gagnon@quebecorme­dia.com

Témoin très tôt des conséquenc­es d’une dépendance, puisque son père souffrait d’un problème d’alcool, Éric Boulay utilise aujourd’hui cette sensibilit­é dans son quotidien à Lauberiviè­re, organisme au sein duquel il oeuvre depuis plus de 20 ans.

À notre arrivée à Lauberiviè­re, par un matin froid de novembre, beaucoup de gens font déjà la queue devant le comptoir de vêtements. Parmi eux se trouvent des jeunes, des parents. Dans la vitrine, de minuscules vêtements pour bébés sont suspendus et trouveront vite preneur.

La scène a de quoi briser le coeur. Elle rappelle aussi l’importance d’un tel organisme, et des gens qui s’y impliquent. La table était mise pour la rencontre avec son directeur général depuis 2011, Éric Boulay.

La veille, M. Boulay a terminé plus tard, à 22 h 30. Quand le besoin se fait sentir, il n’hésite pas à prolonger ainsi ses journées déjà bien remplies. « Les gens qu’on accueille, on les aide de la bonne façon, mais ceux qu’on n’est pas en mesure d’aider, malheureus­ement, souvent, ils retournent à la rue, et ça, c’est très triste. »

L’organisme que dirige M. Boulay est surtout connu pour sa soupe populaire et ses services d’hébergemen­t. On y sert entre 300 et 500 repas par jour, ce qui représente pas moins de 145 000 repas par année. On y dispose également de 86 lits, ce qui n’est jamais suffisant puisque des gens doivent être refusés à peu près tous les soirs, faute de place.

L’ampleur de la situation a d’ailleurs fait l’objet d’un appel à l’aide de la part du maire de Québec cette semaine, à l’intention du gouverneme­nt du Québec. En plus d’une centaine de salariés, Lauberiviè­re peut compter sur 150 bénévoles permanents et entre 800 à 1000 personnes qui viennent donner un coup de main de façon sporadique. Malgré tout, en situation de pénurie de main-d’oeuvre, le casse-tête est constant.

« Il y a eu un moment dur en début d’automne, raconte-t-il. Il nous manquait un cuisinier, je me demandais si je ne devrais pas servir les repas un soir. Il ne fallait pas que mon chef cuisinier soit malade, car on aurait été dans le trouble. »

CHAPITRE DÉCISIF

La relation d’aide n’aurait pas autant attiré Éric Boulay s’il n’avait pas vécu d’aussi près les conséquenc­es d’une dépendance. Il en est convaincu. « J’ai grandi là-dedans, alors c’est sûr que, quand tu vis une épreuve comme ça, tu développes une sensibilit­é, et probableme­nt que [ça] vient de cette époque-là, alors c’est mon héritage. »

M. Boulay le souligne d’entrée de jeu : son père, qui est décédé beaucoup trop jeune, lui a donné beaucoup d’amour. Il a eu de bons parents, aimants et présents. « L’amour des parents, c’est quelque chose d’important », souligne-t-il.

Mais par moments, la consommati­on excessive d’alcool de son père le lui volait, en quelque sorte. « Je sais la différence entre le problème, les comporteme­nts et la personne, et Lauberiviè­re, c’est un peu ça », dit-il, ajoutant que chaque épreuve peut être tournée en positif.

Éric Boulay a grandi à Baie-saintPaul, dans Charlevoix. « C’est un cadeau de pouvoir grandir dans un si beau milieu, considère-t-il. La proximité avec le fleuve, les montagnes, le milieu rural, les champs, juste en arrière avec les bassins de montagnes, on a grandi là, c’était notre terrain de jeu. »

Son père était un grand amateur de hockey. Il a même fait le camp d’entraîneme­nt pour être dans les Nordiques, avec le fameux Alain Côté. « Ils ont pris Alain Côté », lance Éric Boulay en riant. Ainsi, à trois ans, il doit enfiler ses patins et aller au hockey. Son père s’aperçoit toutefois rapidement que son fils n’aime pas cela. « Il m’a dit : “Il faut que tu fasses du sport, c’est important.” »

Éric Boulay a découvert le karaté, qu’il voit comme une façon de se dépasser et d’atteindre un équilibre intérieur. « Je n’ai pas compris ça quand j’étais jeune, mais j’en ai fait jusqu’à 22 ans. J’ai des enfants maintenant, et mon garçon a commencé lui aussi à cinq ans. »

Puis, à 14 ans, il a échoué dans sa première tentative pour obtenir la ceinture noire. Compétitif, il a voulu tout lâcher. « Mon père m’a dit : “C’est rare que j’insiste, mais là, tu vas aller jusqu’au bout.” Et par chance qu’il a fait ça. »

MÉTIER SUR LE TAS

Après le secondaire, comme il n’y avait pas de cégep dans Charlevoix, il a mis le cap sur Québec. « J’avais de bonnes notes, un conseiller en orientatio­n m’a dit : “T’es tellement bon en maths, je te vois en sciences pures.” Je me suis rendu compte après une session que je ne m’entendais pas très bien avec les molécules. » En sciences humaines, il a découvert la psychologi­e : Piaget, Erikson, les différents stades de développem­ent et autres. « J’ai mordu là-dedans, j’ai aimé ça ! »

À l’université Laval, Éric Boulay choisit la science de l’orientatio­n et se spécialise en organisati­on communauta­ire. « J’ai appris plein de choses dans des cours en relations d’aide, d’abord j’ai braillé ma vie [...] J’ai trouvé ça dur, je suis sorti de mes études et je n’avais pas besoin de thérapie », raconte-t-il.

En relation d’aide, d’ailleurs, on se soigne toujours un peu, considère-t-il. « Ça nous nourrit, ça nous fait grandir. Tous les côtés qui dépassent, eux [la clientèle] te les font sentir d’abord. »

Pour payer ses études, il travaille comme barman à l’arlequin, institutio­n aujourd’hui disparue et où ça brassait pas mal, dit-il. « Ça m’a fait apprendre le métier de la relation d’aide rapidement », lance-t-il en riant. Il est aussi bénévole au Centre de prévention du suicide, expérience qui lui confirme sa passion pour la relation d’aide.

C’est aussi à cette époque qu’il apprend une terrible nouvelle. « J’ai pensé que mon parrain avait besoin de moi, car il est arrivé en pleurant. Je me suis dit : “Qu’est-ce que je peux faire ?” Il m’a dit : “Non, j’ai quelque chose à t’annoncer. Ton père est décédé.” »

Son père, qui n’avait que 48 ans, a fait un infarctus. Son fils venait alors de terminer tous ses cours de maîtrise, et devait rendre son essai. Il a plutôt décidé de partir.

« J’ai pris mon pack-sac, je suis allé visiter le nord de l’europe, l’italie, la Grèce, relate Éric Boulay. J’ai été engagé dans un camping en Provence: ma job, c’était de couper les lierres qui étouffaien­t les arbres. Je pense que c’est le plus beau travail que j’ai jamais eu. Je sortais de cinq ans d’université avec une littératur­e en anglais, mon père venait de mourir, j’avais même pas besoin de réfléchir, il fallait que je coupe des ronces. »

Logé et nourri, il n’était même pas payé. Ses hôtes lui prêtaient une vieille voiture le dimanche, et il partait à la découverte des vignobles. « C’est un des meilleurs souvenirs de ma vie. »

À son retour, son essai complété,

Éric Boulay est entré à Lauberiviè­re comme intervenan­t en crise suicidaire et service d’hébergemen­t pour hommes. Bien vite, sans l’avoir planifié, il s’est retrouvé coordonnat­eur des services cliniques, puis à la direction générale.

Si Éric Boulay se projette dans l’avenir, il se voit toujours à Lauberiviè­re. « Je ne voulais pas être directeur dans la vie, je voulais aider les gens, souligne-t-il. Je le fais dans mon rôle de directeur, mais je n’irai pas travailler ailleurs. Je ne suis pas carriérist­e, c’est une passion pour moi, être ici. »

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? « On sent la population de Québec tellement généreuse et derrière Lauberiviè­re, c’est comme si on avait le vent de dos », se réjouit Éric Boulay. Bien que son travail de directeur général soit très prenant, M. Boulay trouve encore le temps pour s’adonner à son autre passion, la musique. Le guitariste se produit même dans des groupes de rock amateur. Enfant, M. Boulay a aussi beaucoup appris dans les scouts, dont la discipline et une foule de belles valeurs qu’il applique aujourd’hui lorsqu’il reçoit quelqu’un à Lauberiviè­re.
« On sent la population de Québec tellement généreuse et derrière Lauberiviè­re, c’est comme si on avait le vent de dos », se réjouit Éric Boulay. Bien que son travail de directeur général soit très prenant, M. Boulay trouve encore le temps pour s’adonner à son autre passion, la musique. Le guitariste se produit même dans des groupes de rock amateur. Enfant, M. Boulay a aussi beaucoup appris dans les scouts, dont la discipline et une foule de belles valeurs qu’il applique aujourd’hui lorsqu’il reçoit quelqu’un à Lauberiviè­re.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada