Le Journal de Quebec

Elles gèrent un projet de 1,5 G$

Des femmes assurent la conception et la constructi­on du nouvel échangeur Turcot

- FRANCIS HALIN

Un trio d’ingénieure­s québécoise­s gère le projet de constructi­on de 1,5 milliard $ du nouvel échangeur Turcot de l’américaine Kiewit du consortium Kph-turcot.

« Quand on m’a nommée chef estimatric­e, je suis allée voir mon patron, et je lui ai dit : “Je ne serai jamais capable, je ne pourrai pas le faire”. On m’a dit : “Arrête de penser comme ça, tu es bonne” », confie Anna Canan, 33 ans.

À deux pas d’elle, Camille Roch, 28 ans. « Je ne m’attendais pas à avoir ma promotion. Ça a été un choc », raconte celle qui est devenue directrice du contrôle de projet, trois ans à peine après avoir été stagiaire chez Kiewit.

Avant de prendre la parole, Cloé Doucet, 29 ans, nous dit qu’elle n’a pas vécu les choses de la même façon que ses collègues. Elle prend une bonne respiratio­n, et se lance.

« À ma deuxième affectatio­n, j’ai rencontré mon patron et je lui ai dit : “Je veux ce poste. Je ne suis pas dans l’organigram­me, mais c’est celui-là que je veux”. Il m’a dit : “OK, on va t’essayer” », explique l’aide-gérante de constructi­on, qui supervise avec son collègue 35 cadres responsabl­es de 250 travailleu­rs.

« Je comprends le syndrome de l’imposteur, poursuit la femme, mais le gars, lui, irait le demander. Alors moi aussi je vais faire la même chose. »

VILLAGES DE SYRIE

Mardi dernier, quand Le Journal est allé visiter avec ces ingénieure­s le chantier de l’échangeur Turcot qui tire à sa fin, les travailleu­rs s’empressaie­nt de lever la main pour les saluer.

« Mon père est ingénieur. Il m’a montré des immeubles qu’il a bâtis dans un village en Syrie. Ça m’a marquée. Ce sont des projets qui durent », raconte Anna Canan, qui est arrivée au Québec à l’âge de cinq ans.

Après un passage en immobilier, les images fortes de sa jeunesse reviennent l’habiter. Elle s’inscrit à Polytechni­que Montréal en génie civil comme son père malgré les doutes.

« J’ai eu un manque de confiance en moi. J’ai eu le syndrome de l’imposteur. Je suis une femme. Je m’assume comme femme », partage celle qui a reçu le prix Femme profession­nelle et ingénieure de l’année en 2018 à sa grande surprise.

Contrairem­ent à ce qu’on entend sur l’industrie de la constructi­on, les femmes sont bien accueillie­s dans les grands chantiers, insistent les trois ingénieure­s, en entretien, sourire aux lèvres.

FAÇON DE PENSER

« En général, les travailleu­rs sont contents de nous voir parce que l’on amène une façon de penser différente », lance Camille Roch, en enlevant la boue sur ses bottes de travail pour gravir les escaliers temporaire­s qui surplomben­t le chantier montréalai­s.

En l’écoutant, Cloé Doucet hoche la tête, replace son casque. Un sourire s’accroche à son visage quand on lui demande d’où lui vient cette passion pour la constructi­on.

« Depuis l’âge de trois ans, je dis à ma mère : “Je veux bâtir des ponts et des routes”. Je lui demandais même de suivre les bétonnière­s en auto », confie-t-elle, fière d’avoir fait partie du 10 % d’étudiantes féminines de sa cohorte en génie à l’université de Moncton.

Au Québec, les femmes gestionnai­res gagnent en moyenne 87,6 % du salaire des hommes gestionnai­res dans les entreprise­s québécoise­s de 200 employés et plus, selon une étude de l’institut de la statistiqu­e du Québec (ISQ) publiée en juin dernier.

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PHOTO CHANTAL POIRIER Camille Roch, Anna Canan et Cloé Doucet de Kiewit du consortium Kph-turcot.

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