L’insoutenable année
Coup de fil de mon fils il y a deux jours. « Où es-tu ? » ai-je demandé. « Dans mon auto », a-t-il répondu. « Sans ta femme et Rose ? » « Oui, elles font la sieste. » « Tu fais des courses ? » « Non, je roule pour rouler. »
Le confinement lui pèse. Comme à nous tous qui comprenons que nous sommes condamnés à vivre coupés des autres avant de passer à l’autre étape, vivre à deux mètres les uns des autres, et ce, jusqu’à Noël, qui sait ?
Comment peut-on en arriver à conclure que nos vies vont reprendre comme la vie a repris après les guerres, les génocides et les pandémies ? Si l’adaptation est le propre de l’être humain, il n’en demeure pas moins que les séquelles sont toujours profondes et indélébiles.
Nous ne sommes déjà plus ce que nous étions en décembre dernier. Séparés de nos proches, nous savons que la mort nous menace. Nous sommes devenus obsédés de la mesure de deux mètres lorsque nous pouvons sortir de nos maisons.
OBSESSION
Je voudrais vous parler de la vie, du bonheur, de la joie, du rire, mais je sais que la pandémie est devenue notre obsession commune. Tout le reste semble futile, secondaire. Qui arrive à lire des livres vraiment ? Qui a envie de se plonger dans la musique, le théâtre ? Seules les distractions mineures, insignifiantes au sens littéral, captent nos esprits.
Nous sommes tous ghettoïsés en quelque sorte. Que l’on vive seul, en couple ou en famille au quotidien. Nous savons que la planète entière est plongée dans le même vertige provoquant une stupeur plus ou moins enfouie dans notre subconscient.
Dans ce hiatus historique se révèlent des héros. Des personnes qui s’oublient, qui se sentent investies de leur fonction, de leur vocation, de leur mission. Grâce à cette pandémie, on fait éclater les classes sociales.
RECONNAISSANCE
Les médecins, les infirmières et les préposés dans les centres hospitaliers sont honorés, respectés et admirés par les citoyens conscients des risques personnels que ces catégories de travailleurs prennent afin d’assurer notre protection. La reconnaissance sociale des simples préposés au ménage est désormais un acquis précieux, qui rompt avec des décennies de hiérarchisation des fonctions.
J’ai aussi du mal, comme beaucoup d’autres, à vivre avec la virtualité technologique.
J’ai peine à retenir mes larmes lorsque je dois dire au revoir à ma petite Rose après qu’elle eut exigé que l’on chante en choeur « Bonsoir, les amis, bonsoir » avant de fermer l’ordinateur. Faute de mieux, je m’y soumets, mais je n’imagine guère que cette manière de communiquer avec les êtres qui nous sont si proches et si chers puisse remplacer le contact physique fait de bisous, de caresses, de parfum et d’une intimité de proximité et de la voix sans filtre.
Nous sommes devant l’inconnu. La COVID-19 peut être circonscrite, mais ne sera vaincue réellement que par un vaccin dont on ne sait à quel moment dans un avenir plus ou moins long il sera découvert et mis en marché. Voilà pourquoi, malgré notre stupéfaction et notre terreur, notre seul recours est l’espoir.