Être le plus autosuffisant que possible
Les inconvénients de la mondialisation forceront le Québec à revoir sa production
Après des années à vanter les mérites de la mondialisation, le Canada et le Québec veulent maintenant devenir aussi autosuffisants que possible.
La crise économique sans précédent et les tentatives de Washington de s’accaparer des masques destinés au Canada ont convaincu les gouvernements de la nécessité d’être plus indépendants après la crise. Fini les éloges du libre-échange avec les États-unis, la Chine et l’europe.
« En plus de l’achat immédiat de masques au pays, nous sommes en train de finaliser une entente pour le développement de la capacité manufacturière au Canada », a promis la semaine dernière le ministre de l’industrie, Navdeep Bains. « Cela demeure un de nos principaux objectifs. »
À la tête des Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), Véronique Proulx salue ce changement de ton. Elle se fait toutefois réaliste. « On ne sera jamais autosuffisants : on est un petit marché qui ne peut pas tout produire. On a besoin d’exporter pour s’enrichir », résume-t-elle.
Joëlle Noreau, économiste principale chez Desjardins, rappelle par ailleurs qu’il est de nos jours « très rare » qu’un produit « soit assemblé de A à Z dans un même pays ». Comme pas moins de 93 % des entreprises manufacturières québécoises sont des PME qui comptent moins de 100 employés, elles
VIRAGE NÉCESSAIRE
agissent bien souvent comme fournisseurs de sociétés étrangères.
Pour réussir ce virage, il faudra donc cibler des secteurs où le Québec et le Canada peuvent véritablement tirer leur épingle du jeu.
« En agroalimentaire et dans certains produits de consommation, on a un avantage », croit Mme Proulx. À l’inverse, il est difficile de construire au Québec une foule de produits technologiques. « En aérospatiale, par exemple, je ne vois pas les chaînes d’approvisionnement changer drastiquement. »
Qu’en est-il d’autres secteurs où le Québec a déjà été un leader, comme le pharmaceutique? Même si la recherche pourrait être réalisée ici, il est difficile de concurrencer l’inde ou la Chine en matière de prix de fabrication.
« Ultimement, ce sont les consommateurs qui décident. Et les gens regardent beaucoup les prix », dit Mme Proulx.
Même en agroalimentaire, être autosuffisant s’avère difficile, observe David Bergeron-cyr de la Fédération du commerce de la CSN. Il cite l’exemple d’un yogourt aux fraises produit ici. La substance laitière est québécoise, mais les fraises viennent de la Californie, le pot de l’espagne et son couvercle du Portugal. Sans compter les semences de la vache laitière, achetées aux États-unis.
« Autrefois, toutes ces composantes venaient du Québec. Mais les consommateurs trouvent que ça coûte trop cher. » Selon lui, les gouvernements vont devoir investir massivement dans les entreprises pour que celles-ci jouent à armes égales avec des sociétés étrangères.
LES GOUVERNEMENTS EN RENFORT
Il souhaite aussi, comme le MEQ, qu’ottawa et Québec exigent des quotas de contenu local pour tout contrat public, comme ce que prévoit le « Buy American Act ».
Pour Craig Wright, économiste en chef à la Banque Royale, la volonté des gouvernements de stimuler l’emploi pourrait être de bon augure pour le secteur manufacturier, qui employait en 2018 près de 433 000 salariés québécois, soit 11,7 % des emplois totaux du Québec. « Quand on voit nos constructeurs automobiles se convertir aux respirateurs le temps de la crise, ça en dit long sur la capacité d’adaptation de notre secteur manufacturier », dit-il. Nos gouvernements pourraient aussi choisir de favoriser la fabrication de biens jugés « critiques » en santé, défense ou cybersécurité, par exemple.