Le Journal de Quebec

Faut-il se méfier des évangiles ?

- RÉJEAN rejean.tremblay@quebecorme­dia.com TREMBLAY

Cette semaine, pour les besoins de la télé, je me suis replongé dans la série entre le Canadien et les Nordiques de 1993.

Quand j’ai relu pour la première fois en 27 ans ma chronique racontant que Daniel Bouchard croyait avoir décelé une faille chez Patrick Roy, j’ai été secoué. Je découvrais comment la légende entourant cette déclaratio­n était bien plus grande que la déclaratio­n elle-même.

Le texte était pondéré et Bouchard ne précisait même pas si cette faille était technique ou psychologi­que. C’est Jacques Demers, en s’emparant de la section du journal dans le vestiaire, qui lui a donné une ampleur qui est devenue légende.

Même Daniel Bouchard ne se rappelait pas exactement comment s’était passée notre conversati­on. Et il a révélé à JeanCharle­s Lajoie quelle était cette faille.

LA VISITE À SAINTE-ANNE DE BEAUPRÉ

S’il y avait 7 millions de Québécois en 1993, il devait y en avoir 7 millions qui étaient persuadés que Jacques Demers s’était rendu prier sainte Anne à Beaupré après la deuxième défaite du Canadien. Pas du tout. J’ai retrouvé mon texte du 27 avril, le lendemain du cinquième match remporté par le Canadien. C’est le 26 avril que Demers s’est rendu à la basilique pour prier la grand-mère du petit Jésus. J’avais tous les détails, incluant les explicatio­ns données par Demers à chaud tout juste avant le match. Et les commentair­es des pères rédemptori­stes Bernard Mercier et Samuel Baillargeo­n, que j’avais joints pendant la première période en écrivant la chronique.

Fallait qu’on soit fous !

J’avais complèteme­nt oublié que j’avais parlé à Demers et aux deux Rédemptori­stes. Oublié que cette visite à l’église avait eu lieu l’après-midi du match. Je me rappelais juste que Marc Simoneau avait lâché la « bombe » vers 5 heures et quart…

Et je me compte chanceux d’avoir une mémoire exceptionn­elle. Ce qui veut dire que bonne mémoire commence par doute et vérificati­on des faits.

ET L’ÉMEUTE ?

On a les films des matchs, des pages et des pages de journaux numérisés à la bibliothèq­ue et les témoins de ces histoires sont encore bien vivants pour la plupart. Et pourtant, les souvenirs sont flous et les vraies histoires font place à des légendes créées par la passion de l’époque.

Alors, imaginez le travail des historiens qui ont tenté de recréer les circonstan­ces exactes des incidents survenus à Boston qui ont mené à l’émeute de Maurice Richard. Il ne subsiste aucune image filmée de ce qui s’est passé. On a conservé quelques photos et les deux seuls journalist­es montréalai­s présents à Boston se sont parlé dans le train avant d’écrire leurs articles le lendemain. À qui se fier ? Aux journalist­es de Boston ? Quand j’ai posé des questions à Tom Fitzgerald du Boston Globe et à Leo Monahan du Herald, 20 ans plus tard, leurs souvenirs étaient bien vagues.

Et la charge d’eddie Shore contre Ace Bailey en 1932 au Maple Leaf Garden qui a valu 16 matchs de suspension à Shore, on a même perdu l’enregistre­ment de la radio. Les comptes rendus dans les journaux ne concordent pas.

Et pensez-vous que la légende voulant que le père de Bailey ait cherché Eddie Shore dans les bars de Boston avec un revolver soit fondée ? Sais pas, moi non plus.

ON SE LAVE LES MAINS

Alors, vous pensez bien qu’à la veille de la fête de Pâques, je me garde une petite gêne quand je lis dans un évangile que Ponce Pilate, le préfet romain de la Judée, s’est lavé les mains en disant qu’il était innocent du sang de ce juste et de ce qui allait suivre. Primo, l’histoire a été écrite au moins 40 ans après l’incident. Deuxio, le lavage de mains était une coutume juive et pas romaine. Et tertio, où était caché Félix Séguin quand les mots auraient été prononcés ?

C’est comme une autre phrase célèbre du Christ : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon église ». L’original a dû être prononcé en araméen. Pierre et pierre en araméen, est-ce que ça permet le même jeu de mots ?

Et en anglais, sans doute que Pierre s’appelait Rock !

Je ne dis pas que les croyants ont tort de croire. Je dis que les historiens et les exégètes ont un travail colossal et inimaginab­le pour juste s’approcher un peu de ce qui s’est passé et dit.

Daniel Bouchard et Jacques Demers, Sainte-anne de Beaupré, c’est hier que ça s’est passé avec la télé, la radio et plein d’articles dans les journaux, et c’était déjà tout croche dans les mémoires.

Bonnes Pâques à tous.

 ?? PHOTO D’ARCHIVES ?? Guy Carbonneau, Jacques Demers et Patrick Roy serrent la main aux joueurs des Nordiques après le sixième match en avril 1993.
PHOTO D’ARCHIVES Guy Carbonneau, Jacques Demers et Patrick Roy serrent la main aux joueurs des Nordiques après le sixième match en avril 1993.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada