La revanche du partisan
Le modèle d’affaires du sport pourrait être complètement revu après la pandémie
Imaginez un monde du sport en pleine crise, avec des ligues et équipes professionnelles dont les finances s’écroulent, des salaires qui doivent être revus à la baisse et des billets qui redeviennent accessibles à tous. Ce scénario, complètement utopique il y a un mois, n’a maintenant plus rien de farfelu.
Au fil des années, l’argent dans le sport est devenu un facteur prédominant. Les équipes sportives imposent des prix exorbitants aux consommateurs, que ce soit pour les billets, les concessions alimentaires ou les produits dérivés.
Cette entrée de revenus leur permet de verser des salaires faramineux aux joueurs, et la roue tourne, puisque les amateurs acceptent de se voir refiler la facture afin d’assouvir leur passion pour le sport.
Une fois que l’actuelle pandémie de la COVID-19 sera derrière, difficile de croire que les fervents auront la même capacité de payer.
« Dans quelle mesure les amateurs vontils encore accepter de se laisser amadouer après avoir été exploités pendant tant d’années ? Est-ce que le sport sera autant une priorité quand la vie va redevenir le moindrement normale ? » se questionne André Richelieu, professeur expert en marketing du sport à L’UQAM.
« C’est la revanche du partisan qui est en train de se préparer. Les consommateurs auront à leur tour le gros bout du bâton après que les équipes auront abusé de cette ère de prospérité. Exiger un prix premium pour un produit médiocre, ça ne pourra plus se faire », ajoute l’expert.
FINANCES FRAGILISÉES
Par le passé, il a parfois été de bon ton de prédire l’écroulement du modèle d’affaires de certaines ligues sportives.
Ce fut le cas, notamment, après les trois lock-out dans la LNH (1994-95, 2004-05 et 2012-13), qui ont privé les amateurs de nombreux matchs. La grève de 1994 dans le baseball majeur avait aussi soulevé l’ire des amateurs, qui sont pourtant revenus fidèlement au rendez-vous une fois les activités relancées.
Cette fois, il semble toutefois que la grogne pourrait l’emporter.
« La différence avec de tels conflits de travail, c’est que pendant cette crise de la COVID-19, le porte-monnaie des gens est directement touché, comme celui des entreprises.
« Ce sera plutôt mal avisé pour une entreprise de débourser le gros prix pour des loges d’affaires ou des abonnements de saison quand des employés ont dû être mis à pied. Ces entreprises vont certainement demander aussi des ajustements de prix si les équipes ne sont pas proactives », estime le professeur Richelieu.
LE SPORT AUX FANS
Personne ne possède de don divinatoire pour assurer que le sport, tel qu’il roule depuis des années, est appelé à imploser. Toutefois, M. Richelieu, comme d’autres spécialistes en marketing sportif sur l’échiquier nord-américain, est d’avis que le partisan, en fin de compte, y gagnera.
« Le sport professionnel est devenu un divertissement de luxe pour VIP. Les organisations sportives vont devoir ajuster leurs prix à la baisse après la pandémie, et ce, de manière prononcée. Autrement, ces organisations se déconnecteront davantage de leurs partisans et pourraient sombrer, victimes des contrecoups de la myopie marketing », prétend-il.