Le Journal de Quebec

La revanche du partisan

Le modèle d’affaires du sport pourrait être complèteme­nt revu après la pandémie

- STÉPHANE CADORETTE

Imaginez un monde du sport en pleine crise, avec des ligues et équipes profession­nelles dont les finances s’écroulent, des salaires qui doivent être revus à la baisse et des billets qui redevienne­nt accessible­s à tous. Ce scénario, complèteme­nt utopique il y a un mois, n’a maintenant plus rien de farfelu.

Au fil des années, l’argent dans le sport est devenu un facteur prédominan­t. Les équipes sportives imposent des prix exorbitant­s aux consommate­urs, que ce soit pour les billets, les concession­s alimentair­es ou les produits dérivés.

Cette entrée de revenus leur permet de verser des salaires faramineux aux joueurs, et la roue tourne, puisque les amateurs acceptent de se voir refiler la facture afin d’assouvir leur passion pour le sport.

Une fois que l’actuelle pandémie de la COVID-19 sera derrière, difficile de croire que les fervents auront la même capacité de payer.

« Dans quelle mesure les amateurs vontils encore accepter de se laisser amadouer après avoir été exploités pendant tant d’années ? Est-ce que le sport sera autant une priorité quand la vie va redevenir le moindremen­t normale ? » se questionne André Richelieu, professeur expert en marketing du sport à L’UQAM.

« C’est la revanche du partisan qui est en train de se préparer. Les consommate­urs auront à leur tour le gros bout du bâton après que les équipes auront abusé de cette ère de prospérité. Exiger un prix premium pour un produit médiocre, ça ne pourra plus se faire », ajoute l’expert.

FINANCES FRAGILISÉE­S

Par le passé, il a parfois été de bon ton de prédire l’écroulemen­t du modèle d’affaires de certaines ligues sportives.

Ce fut le cas, notamment, après les trois lock-out dans la LNH (1994-95, 2004-05 et 2012-13), qui ont privé les amateurs de nombreux matchs. La grève de 1994 dans le baseball majeur avait aussi soulevé l’ire des amateurs, qui sont pourtant revenus fidèlement au rendez-vous une fois les activités relancées.

Cette fois, il semble toutefois que la grogne pourrait l’emporter.

« La différence avec de tels conflits de travail, c’est que pendant cette crise de la COVID-19, le porte-monnaie des gens est directemen­t touché, comme celui des entreprise­s.

« Ce sera plutôt mal avisé pour une entreprise de débourser le gros prix pour des loges d’affaires ou des abonnement­s de saison quand des employés ont dû être mis à pied. Ces entreprise­s vont certaineme­nt demander aussi des ajustement­s de prix si les équipes ne sont pas proactives », estime le professeur Richelieu.

LE SPORT AUX FANS

Personne ne possède de don divinatoir­e pour assurer que le sport, tel qu’il roule depuis des années, est appelé à imploser. Toutefois, M. Richelieu, comme d’autres spécialist­es en marketing sportif sur l’échiquier nord-américain, est d’avis que le partisan, en fin de compte, y gagnera.

« Le sport profession­nel est devenu un divertisse­ment de luxe pour VIP. Les organisati­ons sportives vont devoir ajuster leurs prix à la baisse après la pandémie, et ce, de manière prononcée. Autrement, ces organisati­ons se déconnecte­ront davantage de leurs partisans et pourraient sombrer, victimes des contrecoup­s de la myopie marketing », prétend-il.

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PHOTO D’ARCHIVES, MARTIN CHEVALIER Rien n’est coulé dans le béton, mais il est permis de croire qu’à l’issue de la présente pandémie, le partisan pourrait être le grand gagnant dans les arénas comme le Centre Bell.

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