Le Journal de Quebec

Carrément révoltant

- JOSÉE LEGAULT

Au Québec, on se souviendra du 11 avril 2020 comme d’un samedi noir. On apprenait l’état de négligence extrême dans lequel des aînés avaient été laissés au CHSLD privé Herron à Dorval. Un reportage cinglant du Montreal Gazette en a fait l’horrible récit. Depuis le 13 mars, 31 résidents sur 150 sont morts. Révoltant, oui. Surprenant, non.

Dans ce CHSLD dit « privé non convention­né » croulant sous les enquêtes, la maltraitan­ce était pourtant déjà documentée par le Protecteur du citoyen et un rapport du coroner. Le tout, semblet-il, sans émouvoir le MÉGA-CIUSSS de l’ouest-de-l’île-de-montréal.

Sur Twitter, mon collègue Charles Lecavalier posait une sacrée bonne question : « Est-ce vraiment le rôle d’une entreprise privée en quête de profits de s’occuper des plus vulnérable­s ? » Non, ça ne devrait pas l’être. Le problème est que depuis 20 ans, les gouverneme­nts précédents ont tous encouragé la création d’un marché privé de services aux personnes très vulnérable­s, aînées ou adultes de tous âges handicapés intellectu­els ou physiques.

Comme du même coup, ils sabraient les soins à domicile et ignoraient les besoins des proches aidants, ce marché privé, par défaut, a pris de l’expansion.

C’est ce que j’appelle le business de la vulnérabil­ité. Dans ce business, on trouve certaines résidences de qualité, c’est sûr, mais d’autres sont des « parkings » à vieux et à adultes handicapés.

PARKINGS

Trop souvent, ces « parkings » fonctionne­nt en plus sous le regard absent et l’omerta des MÉGA-CIUSSS créés par l’ex-ministre de la Santé, Gaétan Barrette. La résidence Herron n’en est que la version La nuit des morts-vivants.

Dans ces « parkings », le rôle premier des résidents est d’enrichir les propriétai­res. Pour maximiser les profits, on y rogne à divers degrés sur tout – soins, nourriture, hygiène, réadaptati­on, socialisat­ion, préposés sous-payés, etc. Ce ne sont pas des « milieux de vie », mais des milieux de négligence souterrain­e.

Ce marché de la vulnérabil­ité, le premier ministre François Legault en a hérité. La pandémie le plonge soudaineme­nt dans ses racoins les plus déshumanis­és. Il s’est donc engagé, une fois la crise terminée, à changer la donne.

SANS COMPLAISAN­CE

Il lui faudra cependant ouvrir les yeux sans complaisan­ce. Il est vrai que le réseau public sort affaibli par des années de compressio­ns et d’hypercentr­alisation. Le principe même de profitabil­ité privée de la vulnérabil­ité n’en soulève pas moins de lourdes questions éthiques.

Les aînés en perte d’autonomie et les adultes handicapés ne sont pas une marchandis­e ni un guichet automatiqu­e. Privatisat­ion des services et bureaucrat­ie désincarné­e du réel sur le terrain – pour les plus vulnérable­s, c’est la pire des combinaiso­ns. Le rôle de l’état est pourtant de les protéger.

Or, dès qu’il les « sous-traite » à des intérêts privés de manière aussi large et aussi peu surveillée, il en fait d’office les victimes d’une loterie cruelle. Les « chanceux » allant dans des résidences adéquates ; les perdants vivotant dans des résidences de piètre qualité. Ceux-là, condamnés à un quotidien d’indignités, ne servent plus qu’à maximiser les profits de leurs exploitant­s.

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Politologu­e, auteure, chroniqueu­se politique
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Est-ce vraiment le rôle d’une entreprise privée en quête de profits de s’occuper des plus vulnérable­s ? Sacrée bonne question.

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