Le cancer au sommet
La rapidité avec laquelle la pandémie de COVID-19 s’est développée confirme notre vulnérabilité face à l’apparition de nouveaux agents infectieux.
Cependant, malgré toute la force et le potentiel destructeur de ce virus, il est important de rappeler que c’est le cancer qui demeure, et de loin, la principale cause de mortalité dans notre société, avec 400 morts par semaine, comparativement à une moyenne de 293,5 pour le virus, depuis le début de la pandémie.
Le cancer est une sorte d’épidémie silencieuse dont on parle peu, mais qui existait bien avant l’arrivée du virus et qui continuera d’exister longtemps après sa disparition.
La coexistence de ces deux épidémies devrait être une occasion de repenser notre attitude face au cancer.
Si la mortalité causée par le coronavirus et les bouleversements socioéconomiques qui sont associés à la pandémie méritent une attention particulière, ne devrait-il pas en être de même pour le cancer étant donné le fardeau encore plus lourd imposé par cette maladie à notre société ?
DES POINTS EN COMMUN
Surtout que ces deux tueurs, étonnamment, ont beaucoup de points en commun. Historiquement, les premiers gènes causant le cancer (oncogènes src, ras et autres) ont été identifiés chez les virus et nos chromosomes contiennent des versions humaines de ces oncogènes.
Certains cancers humains sont d’ailleurs principalement causés par des infections virales. Entre autres, le cancer du col de l’utérus avec une stratégie de vaccination contre le virus du papillome humain (VPH) pour en réduire l’incidence, ou le cancer du foie avec le virus de l’hépatite B ou encore le sarcome de Kaposi avec le VIH.
ORIGINE VIRALE
Globalement, on estime qu’environ 12 % des cancers humains ont une origine virale.
Une autre similitude entre les gènes viraux et les oncogènes humains est qu’ils peuvent dans les deux cas être qualifiés d’égoïstes et d’opportunistes. Pour un virus ou une cellule cancéreuse, le seul objectif est de reproduire indéfiniment ses gènes en prenant en otage l’environnement dans lequel ils se trouvent.
Dans une infection virale ou une mutation cancéreuse, il s’agit littéralement d’un putsch moléculaire, d’une prise de contrôle des mécanismes de reproduction de la cellule touchée.
Le corps essaie bien sûr d’empêcher cette prise de contrôle, en utilisant sa force de frappe immunitaire, mais lorsqu’ils parviennent à échapper à l’immunité, les virus et cellules cancéreuses utilisent la réponse inflammatoire générée par les cellules immunitaires, pour accélérer leur progression à l’intérieur du corps.
En somme, un virus et une cellule cancéreuse peuvent être tous les deux considérés comme des ennemis intérieurs, des parasites obligatoires qui ont besoin d’utiliser les ressources de l’organisme pour se reproduire de façon exponentielle.
VAUT MIEUX PRÉVENIR
Enfin, la similitude la plus importante entre les infections virales et le cancer est que dans les deux cas, il vaut vraiment mieux prévenir que guérir.
On voit présentement à quel point il est difficile de traiter les personnes qui sont atteintes par des formes sévères de la COVID-19, et c’est souvent similaire pour le cancer.
Les traitements anticancéreux actuels sont beaucoup plus efficaces lorsqu’ils sont dirigés vers des tumeurs à des stades précoces, alors que la plupart des cancers qui ont atteint un stade avancé sont formés de cellules dégénérées génétiquement et qui sont en conséquence très difficiles à éliminer.
On sait depuis plusieurs années qu’on peut prévenir la majorité des cancers en adoptant un mode de vie sain, incluant l’absence de tabagisme, la protection contre les rayons ultra-violets, une saine alimentation, une activité physique régulière et le maintien d’un poids corporel normal (IMC entre 18 et 25).
Pour le coronavirus, le mode de vie joue également un rôle très important dans la sévérité des complications provoquées par le virus.
Pas moins de 95 % des personnes hospitalisées pour la COVID-19 présentent au moins une maladie chronique préexistante, ce qu’on appelle la comorbidité.
Les plus communes sont l’obésité, le diabète de type 2 et l’hypertension, des pathologies qui sont toutes des conséquences directes de mauvaises habitudes de vie.
La tempête de cytokines associée à la dégradation foudroyante de la condition de certains patients infectés est probablement une amplification d’un déséquilibre inflammatoire déjà présent, causé par cette comorbidité latente.
L’obésité est d’ailleurs identifiée comme un facteur majeur de complications cliniques pour la COVID-19.
Sans empêcher l’infection comme telle, l’adoption de saines habitudes de vie peut donc contribuer à prévenir les complications de l’infection et à réduire son taux de mortalité.
Qu’il s’agisse d’infections virales ou de maladies chroniques, la prévention représente donc une facette incontournable de la lutte contre ces maladies.
Malheureusement, prévenir ne fait vraiment pas partie de notre culture occidentale, beaucoup plus axée sur les bénéfices à court terme plutôt qu’à long terme, et où l’essentiel des efforts des systèmes de santé est consacré au traitement des maladies plutôt qu’à empêcher leur développement.
Nous réagissons bien aux problèmes aigus que sont, par exemple, les traumatismes ou les infections, mais beaucoup moins bien aux problèmes de maladies chroniques, parce qu’ils marquent moins notre quotidien.
En l’absence d’urgence évidente, comme dans une pandémie infectieuse, nous procrastinons notre prise en charge, parce que le danger est moins direct.
PRISE DE CONSCIENCE
Il est à souhaiter que le branle-bas de combat actuellement en cours pour contrer la COVID-19 nous sensibilise à l’importance des approches préventives, non seulement pour les maladies infectieuses, mais aussi pour le cancer et les maladies chroniques en général.
Rappelons-nous, le cancer tue en moyenne 57 personnes chaque jour, au Québec seulement.
C’est l’occasion d’une prise de conscience individuelle et sociétale, sur notre vulnérabilité face à la mort, mais également, sur notre incroyable potentiel d’action préventive, en adoptant des attitudes comportementales aptes à réduire le risque de succomber à ces maladies.
Les comportements de prévention du cancer sont moins exigeants que ceux pour la protection contre la COVID-19.
Nous faisons beaucoup de sacrifices pour contrer ce coronavirus, aurons-nous cette même discipline et ce même courage face à la première cause de mortalité qu’est le cancer ?
C’est en quelque sorte une épidémie silencieuse