« Les femmes de mon époque se sont battues »
Celle qui a oeuvré dans le milieu des communications toute sa vie raconte son histoire dans un livre
Première femme nommée directrice des communications de Radio-canada en 1992, Micheline Savoie a choisi la voie littéraire pour dénoncer le viol d’une violence inouïe dont elle a été victime en 1979. En marge de la vague de dénonciation sur les réseaux sociaux, la femme de 76 ans en fait la confession dans la biographie Avant de perdre la mémoire, un véritable héritage écrit pour sa fille, mais pour toutes les femmes de la jeune génération.
Si le mouvement #Metoo révèle les zones d’ombre de l’industrie culturelle depuis trois ans, il n’y a pas plus d’agressions dans le milieu qu’il y en avait autrefois, fait remarquer Micheline Savoie à l’autre bout du fil.
Féministe « avant même de connaître le mot », Micheline Savoie raconte son parcours peu banal dans le livre Avant de perdre la mémoire, dédié à sa fille Anouk, aujourd’hui atteinte d’un cancer incurable. Elle a oeuvré toute sa carrière en communications, dont de nombreuses années à Radio-canada, à l’office national du film et à Loto-québec.
« La CBC ne détient pas l’exclusivité des Jian Ghomeshi ; la SRC a eu les siens, » écrit-elle en faisant référence à l’animateur déchu accusé d’agressions sexuelles en 2014.
Cette phrase-choc introduit un passage douloureux où Micheline Savoie raconte en détail qu’en 1979, alors réalisatrice à la radio de Radio-canada et mère monoparentale de 36 ans, elle est victime d’une violente agression sexuelle de la part d’un collègue radio-canadien de Québec.
Un viol qui lui a coûté une hystérectomie, ainsi que son emploi, qu’elle a quitté pour ne plus le croiser dans les couloirs de la société d’état, alors qu’il a été transféré à Montréal en 1981.
« J’ai beaucoup hésité à le mettre dans le livre, insiste-t-elle. Je l’avais enlevé, et j’ai décidé de le remettre. […] Pour me vider le coeur. Pour m’enlever un poids que je porte depuis 40 ans. Et ma foi, j’ai l’impression que j’ai réglé des comptes. Même en ne le nommant pas. Si ça devient public, c’est (son) problème. »
En cette ère où les réseaux sociaux se sont transformés en tribunal populaire, Micheline Savoie affirme être contre le fait de révéler les noms sur la place publique comme ça se fait depuis juillet sur le web.
Et à l’époque, il était pratiquement impensable de dénoncer, raconte-t-elle. « En 1979, engager une poursuite ou un procès, j’en avais pour cinq ans. Il n’y a aucune femme qui parlait à ce moment-là parce que c’était trop compliqué ».
Si les ressources sont aujourd’hui plus nombreuses pour les femmes, elle déplore toutefois que le système judiciaire ait du retard. « Le droit a du retard, la cour a du retard », dit-elle, en citant comme exemple le collectif Les Courageuses, qui
été débouté par la justice.
UN PARCOURS PAS BANAL
Micheline Savoie a écrit le livre Avant de perdre
la mémoire pour tenir une promesse faite à sa fille, celle de lui raconter sa vie qu’elle a couchée sur papier dans des journaux intimes qu’elle a tenus entre l’âge de 10 et 57 ans.
À travers son récit, on plonge dans l’histoire fascinante de l’émancipation des femmes depuis les années 1950. Si les Janette Bertrand et Lise Payette étaient sous les projecteurs à l’époque, « toutes les femmes ont vécu la même chose et ont bossé dur, rapporte Micheline Savoie. On n’était pas à la télé, on n’était pas à la radio, on était dans les bureaux à soutenir ce que faisaient les hommes […]. Je faisais un travail important, mais qui n’était pas visible. »
Micheline Savoie a vécu l’époque où une femme ne pouvait divorcer et où il fallait la signature de son mari pour acheter un lave-vaisselle à crédit. Si les femmes semblent l’avoir plus facile aujourd’hui, le combat pour l’égalité est loin d’être terminé, dit-elle.
« J’adore lire dans le journal que les sept pays qui se sont le mieux tirés de la COVID sont des pays qui sont gérés par des femmes. Moi, personnellement, je choisis des femmes partout où je vais. Ma pharmacienne est une femme, mon médecin est une femme, mon supermarché est tenu par une femme. Je fais des choix comme ça, car je sais qu’elles l’ont plus difficile. »