Travailleurs empoisonnés par l’amiante en Montérégie
Une usine forcée de dédommager une victime dont elle a caché le dossier médical
La justice force l’usine Kronos, à Varennes, à payer plus de 160000 $ en compensation à la famille d’un travailleur tué par l’amiante dans un jugement qui pourrait bénéficier à des dizaines d’autres victimes.
Réjean Provost a travaillé toute sa vie chez Kronos comme journalier. Pendant 42 ans, il a passé 8 à 12 heures par jour entre les murs de la fabrique de peinture de Varennes, en Montérégie.
Parmi ses diverses tâches, l’ouvrier nettoyait sans masque les débris chargés d’amiante que les plombiers faisaient tomber des plafonds en réparant les tuyaux.
« Il y a de l’amiante partout dans l’usine, même dans les échantillons de poussière récoltés au sol », indique le jugement rendu discrètement au printemps par le Tribunal administratif du travail, qui cite 550 échantillons prélevés chez Kronos en 2004.
L’entreprise savait depuis des années que l’ouvrier était malade et le maintenait dans l’ignorance, a découvert sa fille, Sylvie Provost, en portant la cause devant la justice après le décès de son père, emporté par l’amiantose en 2017.
DOSSIER MÉDICAL ÉTOUFFÉ
Le jugement indique que Kronos détenait des radiographies pulmonaires de M. Provost datées de 1989, 1990, 1994 et 1995 attestant de la maladie, mais que l’entreprise lui a caché son dossier médical.
Ce n’est qu’un an avant son décès que M. Provost a reçu le diagnostic sans appel : amiantose en phase terminale.
Les médecins n’ont rien pu faire pour le soulager ou adoucir ses années de souffrance.
« Il a passé 16 ans à étouffer. Tout l’épuisait. Et on ne savait pas pourquoi », souffle sa fille.
Alors qu’il avait rêvé d’une retraite à faire du ski, ce sportif l’a plutôt passée confiné dans sa maison, incapable même de repousser la neige folle sur le pare-brise de son auto l’hiver.
Il devait s’appuyer sur son épouse pour accomplir plusieurs tâches.
D’AUTRES VICTIMES
En 2016, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a reconnu la maladie professionnelle de M.provost et réclamé des compensations à l’entreprise.
Mais Kronos a refusé de payer, contestant l’exposition du travailleur à l’amiante ainsi que le diagnostic même de la maladie d’amiantose.
Il a fallu que sa fille se batte seule devant la justice pour que l’employeur plie.
Sylvie Provost se demande aujourd’hui combien d’autres victimes de Kronos se meurent sans soutien.
Selon le jugement, l’entreprise a fait passer des radiographies pulmonaires à 137 travailleurs en 2004.
Onze présentaient les traces d’une exposition à l’amiante.
Deux ont intenté des poursuites pour être dédommagés.
Mais tous les autres, y compris ceux qui ont pris leur retraite avant, comme M.provost, ont été laissés pour compte.