Encore loin de la coupe aux lèvres
Malgré six projets à l’étude, il n’y a pas de mine de lithium en activité au Québec
Le ministre de l’économie, Pierre Fitzgibbon, a beau comparer la « filière du lithium » à ce qu’auront été les chantiers hydro-électriques de la Baie-james pour la province, les observateurs s’entendent pour dire que rien n’est encore gagné.
« C’est vrai que le Québec a une vraie carte à jouer dans le lithium, dit Michel Jébrak, l’un des experts du secteur parmi les plus respectés. Mais même si j’espère aussi que le Québec trouve le moyen de prendre la place qui lui revient dans cette filière de la batterie électrique, je le trouve quand même bien optimiste. »
Le gouvernement du Québec aura surpris la semaine dernière en annonçant se porter acquéreur de 50 % des actifs de Nemaska Lithium, ce projet mort-né dans lequel Investissement Québec a déjà perdu 80 M$. Avec la britannique Pallinghurst, le gouvernement Legault s’est engagé à investir jusqu’à 600 M$ dans sa relance, avec le projet d’en faire la pierre d’assise d’une toute nouvelle grappe industrielle.
Géologue et professeur émérite du Département des sciences de la Terre de L’UQAM, Michel Jébrak prévient que si le Québec a la chance de compter sur plusieurs gisements de pegmatite à lithium sur son territoire, des caractéristiques du marché pourraient rendre l’aventure de son extraction, si ce n’est risquée, certainement incertaine.
Le ministère de l’énergie et des Ressources naturelles dénombre actuellement six projets de mines de lithium sur son territoire ( voir ci-contre), tous situés dans les régions de l’abitibi et du Nord-du-québec.
Du nombre, quatre n’ont encore jamais vu le jour et, faute de fonds, les deux autres — plus avancés (North American Lithium et Nemaska) — ont dû recourir à la protection des tribunaux. Si bien qu’à l’heure actuelle, confirme sa porte-parole Catherine Ippersiel, le Québec ne compte aucune mine de lithium en activité.
DES INVESTISSEMENTS RISQUÉS
Pour Ugo Lapointe, ingénieur minier devenu chien de garde de l’industrie pour le compte de Miningwatch et de la Coalition Québec meilleure mine, le seul fait que Québec doive investir dans Nemaska révèle la fragilité de ses perspectives.
Plongeon des cours du lithium, concurrence de pays à moindres coûts, et changements technologiques rapides sont autant de raisons qui pourraient justifier que Québec choisisse de ralentir ses ardeurs.
« Québec spécule sur l’avenir. Si Nemaska était vraiment la mine d’or qu’on tente de nous vendre, vous pouvez être certain que les promoteurs auraient pu trouver des investisseurs privés. »
INSTABILITÉ ET SURPRODUCTION
Michel Jébrak confirme le plongeon des cours du lithium depuis deux ans. Au cours des douze derniers mois, le métal a chuté de pas moins de 35 %, ce qui a refroidi les investisseurs partout sur la planète.
Mais ce phénomène, précise-t-il, n’est pas tant lié à la baisse des débouchés pour le lithium qu’à une surproduction en provenance principalement d’australie. Un ralentissement de la croissance de l’auto électrique en Chine et les difficultés économiques liées à la pandémie n’ont pas non plus aidé.
Néanmoins, il estime que le marché finira par se stabiliser, après encore des années de soubresauts. Sera-ce suffisamment rapidement pour permettre au Québec de combler son retard face à l’australie et au Chili ? Et puis, ajoute-til, la province demeurera toujours excentrée pour cette filière surtout développée jusqu’à présent autour de l’océan Pacifique. « Bref, lance-t-il, notre retard est important. Ça peut être long ; mais ça se rattrape. »