LA PATIENTE NO 1
La femme qui revenait d’iran s’est présentée à l’hôpital Verdun avec des symptômes et un masque le 25 février
Il y a 8 mois, le premier cas de COVID-19 se présentait à l’hôpital devant des médecins pris au dépourvu.
Le ciel est gris et un brouillard glacial recouvre Montréal en ce début d’après-midi. Une femme débarque d’un taxi avec un masque et des gants blancs. Elle se rend directement au poste de sécurité de l’hôpital de Verdun où elle tend un billet médical au superviseur. Sur le papier, il est écrit : « Avec symptômes, possible cas COVID ».
Dans la salle d’urgence, on l’assoit sur une chaise dans un coin, loin des autres patients. Il n’y a toutefois pas de panique puisqu’elle était attendue en ce mardi 25 février. Une clinique médicale située à proximité avait prévenu de son arrivée.
La femme qui avait voyagé en Iran et qui était rentrée au pays la veille venait d’y consulter un médecin qui a tout de suite soupçonné le coronavirus.
« Elle est arrivée affaiblie, elle avait l’air toute pâle », raconte Farid Berkane, le responsable de la sécurité qui a reçu la patiente.
Rapidement, il va chercher l’infirmier du triage. Il est alors 14 h 40. Il ne faut que quelques minutes pour qu’on l’installe dans l’une des seules salles à pression négative que compte alors l’urgence. La ventilation y est ajustée pour tirer l’air vers l’intérieur de la pièce et ainsi éviter que le virus ne se répande.
FÉBRILITÉ
Pour se rendre dans la salle, le personnel doit passer à travers un SAS, un local situé entre la salle d’urgence et la chambre à pression négative, afin de changer de vêtements. Une caméra et un système d’interphone ont même été installés pour permettre aux infirmières du poste de garde d’échanger avec la patiente sans entrer dans la salle.
Il règne une certaine fébrilité au fur et à mesure que la rumeur se répand dans l’urgence.
« À ce moment-là, les travailleurs eux-mêmes avaient des réticences et des anxiétés pour ne pas l’attraper et le rapporter dans leur famille », raconte l’infirmière-chef de l’urgence, Érika Fontaine-pagé.
Durant les semaines précédentes, même si on s’est préparé à l’arrivée du coronavirus, il n’y a eu aucune pratique sur les mesures à suivre pour recevoir les patients atteints de la COVID-19. Le virus est alors méconnu.
Les équipes appliquent donc les protocoles habituels dans le cas de syndromes respiratoires.
COMME UNE GROSSE GRIPPE
Comme la patiente n’est pas très âgée et qu’elle ne présente pas de symptômes graves, elle est gardée en observation en attendant d’être vue par le médecin de garde.
« Ça s’apparentait plus à une grosse grippe à ce moment-là. Elle n’a pas nécessité de soins intensifs », indique le Dr Jocelyn
Barriault, chef du département de médecine d’urgence de l’hôpital de Verdun.
Il faudra un peu plus d’une heure avant qu’un médecin ne se rende à son chevet. Dans les heures précédentes, le Dr Daniel Émond a vu des patients au CLSC et en clinique avant d’aller faire son quart de travail à l’urgence entre 16 h et minuit.
« C’est ma première patiente à voir cette journée-là », raconte le médecin qui dit avoir ressenti « des papillons à l’intérieur ».
Il enfile les vêtements de protection en s’assurant que quelqu’un vérifie qu’il n’oublie aucune étape, pour ne pas être infecté.
ACCÈS RESTREINT
Le Dr Émond ausculte la patiente.
« Elle revenait de voyage et elle rapportait que dans le pays qu’elle a visité [l’iran], il y avait énormément de cas [de COVID-19] qui circulaient », raconte-t-il.
Le médecin prescrit une radiographie des poumons, des tests sanguins et un autre pour le dépistage de la COVID-19.
Tout de suite en sortant, il prévient la
microbiologiste de garde à l’hôpital, qui va, elle aussi, se rendre au chevet de la dame. Au total, deux médecins, une infirmière, une infirmière auxiliaire et un préposé sont désignés pour s’en occuper. Personne d’autre n’a le droit d’entrer dans la chambre.
« DÉBARQUEMENT DE NORMANDIE »
En parallèle, avant même de connaître le résultat des tests, le chef des mesures d’urgences et de la sécurité déclenche le plan de pandémie.
« Il y a eu de la fébrilité, un petit peu de nervosité, et je ne vous cacherai pas, de l’excitation, dit Bruce Lapointe. On savait que quelque chose de gros s’en venait. »
Comme la plupart de ses collègues, il ne s’attendait pas à ce que le premier cas au Québec débarque dans son hôpital. Il sent toutefois qu’il se passe quelque chose d’historique comme le débarquement de Normandie, en 1944.
« La COVID, pour nous, c’est un peu notre débarquement », dit-il.
Le directeur général adjoint, Pierre-paul Milette, se trouve en déplacement pour se rendre dans un CHSLD lorsqu’il reçoit un appel l’avertissant de l’arrivée de ce premier cas suspect.
Il dévie rapidement sa trajectoire pour se rendre à l’hôpital de Verdun.
« En voyant ce qui se passait dans le monde, les équipes étaient stressées et inquiètes pour la suite des choses », raconte-t-il.
Dans les heures qui suivent, il multiplie les rencontres pour rassurer tout le monde et prendre des mesures pour les jours à venir.
TEST DE DÉPISTAGE
Ce n’est qu’au début de la soirée qu’on procède au test de dépistage de la COVID-19.
« Ne connaissant pas le virus, on avait des protocoles très stricts à respecter », raconte Érika Fontaine-pagé.
C’est un inhalothérapeute qui a la délicate tâche de prendre un échantillon avec un écouvillon inséré dans les narines et la gorge de la patiente.
On ne prend aucun risque pour la suite. L’écouvillon est remis à un préposé aux bénéficiaires qui se trouve dans le SAS avec une infirmière. Cette dernière nettoie l’écouvillon avant de l’identifier au nom de la patiente. Il est ensuite placé dans un sac stérile qui est nettoyé à son tour. Puis, on glisse le tout dans un bocal. Le même manège se répète avec le nettoyage et l’identification.
L’échantillon est ensuite envoyé au Laboratoire de santé publique du Québec situé à Sainte-anne-de-bellevue, dans l’ouest de l’île de Montréal.
DE RETOUR À LA MAISON
À l’urgence, l’état de la patiente reste stable et elle n’a que des symptômes légers.
Moins de 36 heures après son arrivée, on lui donne son congé. Son conjoint, qui n’a pas la maladie, vient la chercher en voiture.
Le personnel lui remet des masques et des gants. Elle doit se rendre chez elle et s’isoler en attendant les résultats du test.
Quelques heures plus tard, le résultat tombe. POSITIF. Le Québec vient d’entrer dans ce qui deviendra la plus grande pandémie depuis 100 ans.
La patiente est invitée à se rendre à l’hôpital juif de Montréal, qui a été désigné pour accueillir les patients atteints de la maladie. Elle y séjourne peu de temps avant de rentrer chez elle pour de bon.