Préposée aux bénéficiaires, du rêve au cauchemar
Depuis tout récemment, je suis préposée aux bénéficiaires, mais ça n’aura pas duré longtemps.
J’ai toujours travaillé, avec un large sourire et une blague en renfort.
Avec l’arrivée de la COVID-19, j’ai perdu les différents emplois que j’avais. Je me suis occupée de mes enfants, de mon mari et de ma maison, puis j’ai sauté à pieds joints dans ce programme pour recruter des préposés aux bénéficiaires. J’étais pressée de retourner travailler et j’ai adoré mes cours organisés à la va-vite. Le métier qu’on m’y dépeignait était précisément dans mes cordes : prendre soin des autres, offrir du réconfort, accrocher des sourires. C’était le rêve.
UNE MUSELIÈRE
Ça a toutefois viré au cauchemar. Pendant mes stages, j’ai été bousculée entre cinq formatrices improvisées. J’ai été intimidée jusqu’à ce que ça tourne au harcèlement. J’ai tout entendu. « Vous les nouvelles, vous ne tiendrez pas le coup. » « Dans un an, vous aurez toutes quitté. » « Voyons, ils vous ont montré ça comment à l’école ? »
Pour encaisser la mauvaise ambiance de travail, je me suis tournée vers le sourire que j’accrochais aux aînés. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour qu’on me mette une muselière par jalousie. Je ne pouvais plus chanter ou rire. On me disait d’aller plus vite, d’entrer dans les temps, de ne pas arrêter, même pour consoler une âme en peine.
Je n’ai travaillé que deux mois et j’ai posé des gestes que je croyais ne jamais poser de ma vie. J’ai dû donner le bain à un monsieur de 99 ans qui criait, pleurait et se tortillait dans tous les sens en suppliant que ça s’arrête. J’ai forcé un dentier dans la bouche d’une dame de 92 ans au point de la faire pleurer. J’ai soulevé avec un lève-personne une dame de 98 ans pendant qu’elle pleurait et qu’elle priait le petit Jésus pour ne pas oublier le nom de ses enfants. Elle est morte deux semaines plus tard.
PERDRE LE SOURIRE
On dit qu’il faut être très humain pour faire ce métier. Moi, je crois qu’il faut aussi une dose d’insensibilité pour réveiller d’un sommeil profond un aîné de 94 ans à 6 h 15 du matin, parce que tout le monde doit être levé avant 8 h.
J’ai toujours vécu pour allumer des sourires autour de moi, mais, en deux mois, j’ai perdu le mien. Je suis maintenant en arrêt de travail, prise de maux de tête, d’étourdissements et de fatigue chronique, incapable de plier une brassée de lavage. Malgré ça, le CISSS m’imposera de rendre les 9000 $ de bourse si je ne retourne pas en CHSLD.
Monsieur Legault a voulu bien faire, mais l’administration et la gestion de ces établissements sont si déficientes qu’elles entretiennent le climat de travail malsain dont j’ai été victime, moi comme tous les travailleurs de la santé. Plus encore, les aînés, qui n’ont pas choisi d’être là, eux, en sont les principales victimes.
Je croise les doigts de ne pas finir ma vie ainsi.
Marie-neige Létourneau Lévis