Le Journal de Quebec

LA GÉNÉROSITÉ, TOUJOURS AU RENDEZ-VOUS... MALGRÉ TOUT

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La pandémie a secoué toutes les sphères d’activité. Si elle semble avoir remis en question beaucoup de ce qui nous semblait acquis, elle n’est pas, du moins pas encore, parvenue à ternir la générosité de celles et ceux qui donnent. Des mois après le début de cette période inédite, les gens généreux… demeurent généreux. Et le capital de culture philanthro­pique que nous avons bâti tient bon. Mais l’effet COVID-19 façonnera néanmoins l’industrie. À quoi s’attendre?

Des effets? Oui, mais…

Dès le printemps, alors que le Québec se mettait sur « pause », les conséquenc­es ne se sont pas fait attendre. Dans un univers où le contact humain prédomine et où les revenus dépendent en partie de l’événementi­el, l’impossibil­ité de se rassembler est venue contrecarr­er les plans. « La philanthro­pie, c’est un être humain qui a une relation avec un autre être humain, rappelle Daniel Asselin, présidentd­irecteur général de la firme Épisode, spécialisé­e dans le conseil stratégiqu­e en philanthro­pie. On ne peut pas tout transposer en mode virtuel. Il faut du présentiel pour faire vibrer la corde de l’altruisme. L’événementi­el sert à cela. » Donc une croix sur les événements, importante source de financemen­t, pour un bon bout de temps. Pertes estimées pour 2021 : 300 millions de dollars sur une assiette de 3 milliards de dollars, ce qui porte le marché à 2,7 milliards au Québec.

Grandes familles, fondations privées et dons planifiés

M. Asselin est bien au fait des tendances qui se profilent dans le secteur philanthro­pique. Depuis 12 ans, Épisode publie l’étude sur les tendances en

philanthro­pie, qui brosse un portrait complet du paysage philanthro­pique du Québec et du Canada. Il est à même de décrypter les signaux que lance le secteur. Il pense que les perspectiv­es ne sont pas complèteme­nt sombres à court terme. Selon lui, si l’industrie réagit bien, elle arrivera à compenser une bonne partie des pertes découlant de l’événementi­el dès l’an prochain. « Des donateurs ouvrent des portes différente­s et pourraient faire le contrepoid­s. Le potentiel des dons planifiés demeure important. Les grandes fondations privées veulent investir davantage, au point de rétablir le marché à la mesure de ce qu’il était avant la pandémie, à 3 milliards de dollars annuelleme­nt. » À cet égard, il cite de grands donateurs qui ont confirmé publiqueme­nt leur souhait de contribuer davantage pour solidifier le tissu social. Une prise de position claire à laquelle on n’a à peu près jamais assisté par le passé. Même son de cloche du côté des donateurs individuel­s. « On entend beaucoup de boomers ou de matures nous dire qu’ils seraient prêts à faire un geste significat­if comme individus dans la communauté philanthro­pique. »

Une culture désormais établie

Cette volonté affirmée de participer au grand projet d’entraide qui garde une société bien soudée et équilibrée est une excellente nouvelle. « Tout le travail qu’on a fait au Québec depuis quarante ans est en train de se traduire par une culture philanthro­pique plus solide, affirme Daniel Asselin. C’est vraiment intéressan­t de regarder les événements dans cette perspectiv­e. Oui, la pandémie nous cause de sérieux problèmes. En même temps, elle fait émerger le fait que nous avons, au Québec, une culture philanthro­pique plus établie, avec des fortunes francophon­es qui ont l’intention d’investir. » C’est l’altruisme et la générosité des individus qui feront la différence. Parce que le gouverneme­nt finira tôt ou tard par cesser d’injecter de l’argent pour maintenir artificiel­lement l’économie. « Il faut que le privé entre en jeu et que les grands donateurs prennent leur place. Et c’est ce qu’on entend, dit M. Asselin. Mieux encore : les jeunes, même s’ils ont moins d’argent, les X, Y et Z veulent contribuer à l’équité et la justice sociale. »

Un bémol: le spectre d’une crise économique

Est-ce à dire qu’il suffit de retenir notre souffle et d’attendre que passe le virus ? M. Asselin en doute. « Même si la COVID était réglée, les gens resteront sur leurs gardes. Les donateurs qui sont en mesure de verser des dons importants sont des génération­s les plus malmenées par le virus. Est-ce qu’ils auront envie d’aller dans plusieurs événements-bénéfices dès 2021 ? » Poser la question, c’est y répondre. Mais ce qui nous attend par la suite pourrait être bien plus difficile à traverser. Pour la première fois, nous pourrions vivre ce qui ressemble à une tempête parfaite : une crise sanitaire doublée d’une crise économique. Deux situations qui peuvent perdurer pendant un certain temps. « Si la pandémie a un effet de crise économique en 2021, on vivra deux configurat­ions en même temps : le déplacemen­t de l’argent à cause de la pandémie pendant un moment, puis le recul du dollar philanthro­pique disponible, à cause de l’économie chancelant­e. » Résultat : moins d’argent disponible, concurrenc­e féroce entre les quelque 15 000 organismes caritatifs du Québec. Ceux de petite envergure pourraient en pâtir sérieuseme­nt. Au point où certains pourraient devoir mettre la clé sous la porte.

… et des mouvements de fond

Pour traverser la tempête, les organismes devront amorcer un sérieux travail de réflexion. « On entendra beaucoup parler de reddition de comptes, croit M. Asselin. Les donateurs veulent savoir à quoi sert leur argent et s’assurer qu’un maximum des sommes qu’ils versent soutient la cause. On peut concevoir qu’ils n’aient pas envie de morceler leur don entre quatre organismes du même champ d’expertise et qui ont tous des frais administra­tifs à assumer. » Ceux qui veulent survivre et continuer de servir leur cause ont donc tout avantage à unir leurs forces. Un élagage est donc à prévoir. Bien sûr que les gens voudront revenir à l’événementi­el. Mais il faudra aussi développer de nouveaux véhicules. Il faudra également travailler avec de nouveaux outils. Parmi ceux qui devraient retenir l’attention : le don planifié, qui prend de l’ampleur et qui fait son chemin dans l’esprit de la population. « On observe une augmentati­on de 1 à 3 % du nombre de personnes qui ont fait un don planifié. C’est majeur parce qu’il s’agit généraleme­nt de dons significat­ifs. » À ce sujet, M. Asselin croit qu’il est grand temps d’intensifie­r les efforts. Avec la pandémie, les organismes à but non lucratif ont eu une promotion inespérée par nul autre que le premier ministre, François Legault, qui a souvent fait appel au dévouement des Québécois. « On peut donner des outils simples aux gens pour qu’ils comprennen­t qu’ils peuvent faire beaucoup pour soutenir des causes sans hypothéque­r leur patrimoine et sans léguer toute leur fortune à leur décès. » Plusieurs associatio­ns profession­nelles des domaines du droit notarial, de la planificat­ion financière et des milieux de l’assurance et du secteur financier pourraient faire front commun pour mener, conjointem­ent avec les gouverneme­nts, une vaste campagne de promotion. M. Asselin estime que si tous décidaient en bloc d’aller dans ce sens et de saisir l’occasion de parler du don planifié, l’assiette disponible dans le marché philanthro­pique au Québec pourrait passer de 3 à 4 milliards de dollars. Un potentiel immense qui sert toute la société.

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Daniel Asselin, président-directeur général de la firme Épisode
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