Tuer un homme pour payer un voyage à sa conjointe
Un planteux de pot sans le sou a obtenu 5000 $ en marijuana pour abattre un entrepreneur en 2016
GRANBY | Il y a quatre ans, Jacques Choquette est tombé dans un guetapens mortel. Le père de famille a-t-il été tué accidentellement par un tireur pas trop futé qui ne voulait que l’effrayer ? Ou a-t-il plutôt été délibérément atteint à la tête par un meurtrier sur la paille, qui rêvait d’amener sa conjointe dans un tout-inclus ? Le jury a opté pour la deuxième hypothèse.
Mardi dernier, après 10 jours de procès et deux jours de délibérations, les 12 jurés ont déclaré Stéphane Blanchard, 38 ans, coupable de meurtre prémédité et de complot.
Pendant deux semaines, le jury composé de 11 hommes et d’une femme a été plongé au coeur d’une enquête policière complexe de deux ans et demi que Le Journal vous raconte aujourd’hui.
La traque menée par la Sûreté du Québec (SQ) a débuté au lendemain de la disparition de Jacques Choquette, le 3 novembre 2016.
Ce soir-là, l’entrepreneur, qui oeuvrait dans le domaine du béton et du transport d’agrégats, a quitté son domicile après le souper pour une rencontre d’affaires.
« Il a dit : “J’en ai juste pour une heure.” Je n’ai pas demandé avec qui ni où », a témoigné sa conjointe Marylène Arteau, au premier jour du procès qui s’est tenu ce mois-ci au palais de justice de Granby, dans les Cantons-de-l’est.
Mais le père de famille de 51 ans n’est jamais rentré chez lui et il ne répondait pas à son cellulaire, ce qui était inhabituel, car il l’avait « toujours en main ».
Sa femme a rapporté sa disparition en fin de soirée, après avoir constaté qu’il n’était pas de retour pour le dodo de son fils de 11 ans.
En examinant les derniers contacts de Jacques Choquette, les limiers ont constaté qu’il avait appelé un certain Daniel Giroux à peine deux minutes après avoir quitté sa résidence de Granby.
DETTE NÉBULEUSE
Trente minutes plus tard, il a envoyé un texto à ce même individu disant : « Suis là ».
Grâce à la triangulation des ondes cellulaires, les enquêteurs ont pu déterminer que la victime se trouvait alors près de l’école d’eastman, en Estrie.
D’après la Couronne, c’est là que l’entrepreneur avait rendez-vous avec Giroux, un homme avec qui il faisait des affaires.
Selon ce qui a été relaté au procès, il semble qu’une dette de plusieurs dizaines de milliers de dollars soit à l’origine du crime, bien qu’il ne soit pas clair qui était le débiteur et qui était le créancier.
Or, Giroux ne s’est pas présenté seul au point de rencontre. Il était passager de la Chevrolet Impala blanche de Stéphane Blanchard. Ce dernier ne connaissait Jacques Choquette ni d’ève ni d’adam.
Selon la défense, Giroux avait demandé au trentenaire de l’accompagner pour intimider la victime, car il mesure plus de 6 pieds.
Pour la poursuite, Blanchard se trouvait plutôt sur place parce qu’il possédait des armes à feu et qu’il était la personne toute désignée pour abattre le père de famille.
La suite des événements est quelque peu nébuleuse, mais le trio se serait rendu dans un rang isolé de Bolton-est, où le plan macabre a été mis à exécution.
ARME DANS LE COFFRE
En quittant son domicile de Waterloo ce soir-là, Blanchard a pris soin de mettre sa carabine 30-30 dans le coffre de sa voiture.
Une fois rendu au milieu de nulle part avec la victime, il a pris son arme et a tiré un projectile en direction de celle-ci pendant que Giroux attirait son attention.
La balle a atterri dans la tête de Jacques Choquette, le tuant sur le coup.
Peu de temps après la détonation, un troisième individu, Mathieu Valade Williams, s’est pointé sur les lieux du crime au volant du Ford Ranger vert forêt de Giroux. Celuici était terré à proximité, en attendant d’entrer en scène.
Au procès, Blanchard a affirmé que le meurtre était un malencontreux « accident » et qu’il ne voulait pas atteindre la victime, mais seulement l’effrayer.
« J’aurais jamais accepté un montant pour tuer quelqu’un. Il n’y a jamais eu de plan vraiment », a-t-il dit sous serment.
CHASSEUR AGUERRI
L’adepte de chasse et de tir sur cibles avait pourtant affirmé le contraire lors de son interrogatoire policier.
« Ça avait l’air d’un gars qui était un fouteux de trouble [la victime]. Ils [Giroux et Valade Williams] voulaient comme s’en débarrasser. [...] C’est moi qui avais les fusils, donc c’est moi qui a été approché pour ça », a-t-il laissé tomber devant l’enquêteur de la SQ Éric Harvey.
Vraisemblablement, le jury a choisi de croire cette seconde version, tranchant que le crime avait été soigneusement planifié.
D’autant plus que le trio ne s’est pas contenté d’abandonner le cadavre de Jacques Choquette là où il a rendu l’âme.
Les complices ont plutôt mis le corps de la victime dans le coffre de sa Mercedes C300 blanche. Ils se sont ensuite rendus
dans une carrière de Bonsecours, où ils ont brûlé la dépouille avec de l’accélérant.
« Hen les gars, vous ne pensiez pas qu’on se ferait un méchoui à soir », aurait lancé Giroux, selon le témoignage de Blanchard.
Le tireur a ensuite quitté les lieux pour rentrer chez lui... prendre un bain.
Pendant ce temps, Giroux et Valade Williams auraient à nouveau déplacé le corps de la victime pour le jeter dans un boisé de Stukely-sud.
Ils se seraient enfin dirigés vers Saint-valérien-de-milton, en Montérégie, où ils ont incendié la voiture de Jacques Choquette. C’est d’ailleurs à cet endroit que le cellulaire de la victime a émis son ultime signal. Les restes de l’appareil ont été retrouvés dans la carcasse du véhicule.
BRÛLÉ LONGTEMPS
« Pour faire fondre le moteur et l’alliage des roues, il faut que ça ait brûlé longtemps et de bonne façon. Tout ce qui était combustible a brûlé. Même les arbres à 10 pieds alentour ont brûlé », a témoigné le technicien en scène de crime de la SQ Sylvain Larouche.
Blanchard s’est débarrassé de l’arme du crime en brûlant les parties en bois et en sciant en morceaux les bouts métalliques.
Les trois complices croyaient ainsi avoir fait disparaître toutes les preuves, et qu’on ne pourrait jamais remonter jusqu’à eux.
Ils n’avaient pas prévu qu’un cortège de trois véhicules, dont deux voitures de couleur pâle et un pick-up de couleur foncée, serait capté par une caméra de surveillance de la carrière de Bonsecours.
Ils ne se doutaient pas non plus que les policiers trouveraient une vidéo montrant Daniel Giroux dans une station-service de Waterloo, le soir du meurtre, avec un bidon d’essence.
Ni que les enquêteurs pourraient reconstituer le texto « Besoin $$$$ », envoyé par Jacques Choquette à Giroux, cinq jours avant sa mort, même si ce dernier avait pris soin d’effacer ses messages.
UN GROS CHÈQUE
Ni que les limiers récupéreraient aussi des photos supprimées dans le cellulaire de Giroux, sur lesquelles on voit un chèque de 30 000 $ fait par la victime cinq mois avant le crime ainsi qu’un reçu de son encaissement dans le compte de Giroux le jour même.
C’est l’amalgame de ces éléments qui a mené à l’arrestation de Daniel Giroux, Mathieu Valade Williams et Stéphane Blanchard, deux ans après le meurtre.
Blanchard a vite trahi ses acolytes en avouant son crime aux policiers lors de son interrogatoire, en plus de se confier à sa conjointe de l’époque et à une amie.
Valade Williams a quant à lui mené les enquêteurs aux ossements de la victime, qui ont finalement pu être récupérés au printemps 2019.
En raison de l’écoulement du temps et des ravages faits par les animaux sauvages, seuls cinq ossements du corps de Jacques Choquette et quelques bouts de vêtements carbonisés ont été retrouvés.
ANTHROPOLOGUE JUDICIAIRE
Ils étaient néanmoins suffisants pour permettre à la réputée anthropologue judiciaire Renée Kosalka – qui a notamment participé à l’identification des victimes du World Trade Center et des tragédies de Lac-mégantic et de L’isle-verte – de déterminer la cause probable de la mort.
Selon la spécialiste ontarienne, Jacques Choquette a poussé son dernier souffle lorsqu’un projectile d’arme à feu a traversé son cerveau, de droite à gauche.
Après avoir longtemps passé sous le radar des autorités, Stéphane Blanchard a pu être identifié comme le tireur à cause des nombreux échanges avec ses deux complices, avec qui il s’occupait d’une plantation de cannabis installée dans son sous-sol.
Lorsque les policiers ont découvert que cet homme sans emploi s’était envolé pour la République dominicaine avec sa conjointe, deux mois après le crime, les pièces du casse-tête se sont mises en place.
En effet, en guise de paiement pour sa participation, Blanchard a reçu la somme de 5000 $... en marijuana. Il lui a fallu la vendre pour obtenir son dû.
« J’étais déçu. Je m’attendais à avoir de l’argent. C’était supposé être payant. C’est comme plus ça qui m’a influencé à faire ça ; sinon je n’aurais jamais fait ça », a même dit le tueur à l’enquêteur Harvey.
« PAS LE CRAYON LE PLUS AIGUISÉ »
Arguant que son client n’était « peutêtre pas le crayon le plus aiguisé de la boîte » et que ses complices lui avaient « joué dans la tête », Me Jean-françois Lambert a tenté en vain d’obtenir un verdict d’homicide involontaire.
Me Émilie Baril-côté, de la Couronne, a plutôt plaidé que l’accusé a participé à ce « complot sanglant » par appât du gain, pour offrir à sa conjointe le voyage dans le Sud dont elle rêvait.
Comme le jury semble avoir donné raison à la procureure, le juge de la Cour supérieure André Vincent a condamné le tueur à la prison à vie sans possibilité de libération avant 25 ans, au grand soulagement des proches de la victime.
Daniel Giroux et Mathieu Valade Williams subiront respectivement leurs procès en janvier et en février 2021, au palais de justice de Granby.