Le Journal de Quebec

SOIRÉE D’ANGOISSE

Il y a deux ans, Adonis Stevenson a failli perdre la vie après un combat de boxe

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La date du 1erdécembr­e 2018 restera gravée à jamais dans ma mémoire. C’est le soir où Adonis Stevenson a failli perdre la vie après un furieux combat contre l’ukrainien Oleksandr Gvozdyk au Centre Vidéotron.

Je me souviens de ce gala comme si c’était hier. Durant la semaine de ce duel, rien ne laissait présager un tel dénouement.

Gvozdyk avait été respectueu­x avec le champion. Il n’était pas arrivé à Québec avec ses gros sabots. Il avait confiance en ses moyens, sans plus.

Pour sa part, Stevenson, flanqué de ses deux gardes du corps, avait le sourire facile. Il était champion du monde et sa conjointe de l’époque, Sisi God, venait de donner naissance à leur petite fille. Toutefois, lors de la pesée, le champion québécois ne semblait pas dans son assiette. J’avais regardé mon collègue Réjean Tremblay sans lui parler. Quelque chose clochait chez le boxeur, mais on n’avait pas mis le doigt dessus.

Cette scène m’a fait douter sur l’issue du combat et j’avais prédit une victoire par knock-out de Gvozdyk au neuvième assaut. Bien sûr, j’espérais me tromper.

AMBIANCE SPÉCIALE

Le soir du gala, il y a de la fébrilité dans l’air. Quand j’entre dans le Centre Vidéotron, une drôle de sensation m’envahit.

Je sens que la soirée sera spéciale. Je ne sais pas pourquoi.

Je m’installe entre Réjean et mon collègue de Québec, Kevin Dubé. Pendant la soirée, Réjean me demande si je vais bien, car il trouve que je n’ai pas l’air dans mon assiette.

Il me dit : « Math, tu as l’air inquiet. Tu as un mauvais feeling pour le combat de Stevenson ? »

Je réplique : « J’ai une drôle de sensation. Tout ce que je veux, c’est que les boxeurs ne se fassent pas mal. »

LA VIGILANCE DE « BRUTUS »

Après sa défaite par K.-O. au 11e round, le Québécois se relève après plusieurs minutes au tapis. Il est capable de quitter le ring de lui-même, puis il se dirige vers son vestiaire avec son équipe et ses proches.

Dans leur vestiaire, tous les boxeurs sont supervisés par un membre de la Régie des alcools, des courses et des jeux. C’est l’ancien boxeur Stéphane « Brutus » Tessier qui est dans celui de « Superman ».

Pendant qu’il prend sa douche, le boxeur ressent un malaise et il tombe au sol. Avant cette chute, Tessier avait remarqué certains symptômes chez l’ancien champion. Il alerte aussitôt l’un des médecins de la Régie qui est assis sur le bord du ring.

Par chance, le Dr Francis Fontaine est près du vestiaire de Stevenson et il intervient rapidement auprès de l’athlète. Stevenson doit être transporté d’urgence à l’hôpital.

SCÈNE INOUBLIABL­E

Pendant ce temps, je suis dans la salle des entrevues en attente de Gvozdyk. Puis, je vois mon collègue de RDS Jean-luc Legendre se diriger vers le couloir au pas de course.

Ça m’a pris cinq secondes pour réaliser la gravité de la situation. Je sors de la salle et je vois Stevenson sur une civière avec une vingtaine de personnes qui courent autour de lui.

Mon coeur bat fort. Je finis ma course à quelques pieds de la civière. Je vois Stevenson avec le regard perdu pendant quelques secondes. Une scène dont je vais me rappeler longtemps.

C’est à ce moment que plusieurs scénarios se mettent à rouler dans ma tête. J’ai obtenu des réponses à mes questions quelques heures plus tard.

Une chose est sûre, le protocole de la Régie avait été respecté à la lettre.

TRISTESSE À L’HÔTEL

Après avoir cassé la croûte avec quelques collègues, je retraite à l’hôtel Bonne Entente, où GYM avait établi ses quartiers pour la semaine.

Au moment où je stationne ma

voiture, je reçois un court communiqué de GYM. Bien sûr, le message décrit seulement en partie l’ampleur du drame qui est en train de se jouer à l’hôpital Enfant-jésus.

Afin d’en savoir plus, je tente de trouver des gens à qui parler à l’hôtel. Je croise l’un des gardes du corps du boxeur, Éric Deshaies. Il a le regard triste, mais il ne veut pas me donner de détails.

Quelques mètres plus loin, je croise Marie-ève Dicaire, qui vient d’être sacrée championne du monde. Elle n’a pas le coeur à la fête et on peut la comprendre.

COURTE NUIT

Après une courte nuit, je me dirige au restaurant de l’hôtel afin d’avoir les dernières nouvelles.

Je vois le promoteur Yvon Michel. Il est encore sous le choc par ce qu’il a vécu pendant la nuit. Sans même qu’il ouvre la bouche, son visage me dit que la condition de Stevenson est critique. Il ne m’informe pas que son boxeur avait été déclaré cliniqueme­nt mort à un certain moment.

En prenant une gorgée de café, j’aperçois le nouveau champion qui est dans le hall d’entrée. Il n’est pas au courant de l’état de santé de Stevenson.

« Are you kidding me ? (est-ce que tu me niaises ?) », me demande-t-il.

Il m’a soufflé quelques phrases à voix basse. Il savait que le voyage de retour de la Californie serait long.

Pour un boxeur, envoyer un adversaire à l’hôpital ou à la morgue, c’est un cauchemar. Tu n’es plus le même par la suite.

LOURDES CONSÉQUENC­ES

Dans les semaines suivantes, Stevenson a remporté sa victoire la plus importante en demeurant en vie, mais elle ne fut pas acquise facilement.

Cependant, il ne se doutait pas qu’une bagarre entre sa conjointe

Sisi God et les membres de sa famille allait éclater sur la place publique.

Puis, les travaux de constructi­on de leur somptueuse demeure à Blainville ont été arrêtés. Quelques mois plus tard, Stevenson a mis fin à sa relation avec God. Par la suite, des procédures judiciaire­s ont été enclenchée­s pour la garde de leur fille et pour le partage de la fortune du boxeur.

Depuis sa sortie de l’hôpital, Adonis Stevenson a fait des progrès importants dans sa réadaptati­on. Il a retrouvé son sourire et il affirme fièrement être le champion de l’espoir. Ça lui permet de regarder l’avenir avec optimisme.

Depuis cette soirée de 2018, je couvre tous les galas de boxe avec ce combat en tête. J’ai encore plus de respect pour les pugilistes qui mettent leur santé en jeu pour assouvir leur passion et pour divertir les amateurs.

J’ai surtout appris qu’on ne joue pas à la boxe.

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Les semaines suivantes allaient être encore plus inquiétant­es.
PHOTO D’ARCHIVES, DIDIER DEBUSSCHÈR­E Adonis Stevenson était demeuré plusieurs minutes au tapis après être tombé sous les coups d’oleksandr Gvozdyk, le 1er décembre 2018. Les semaines suivantes allaient être encore plus inquiétant­es.
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MATHIEU BOULAY mathieu.boulay@ quebecorme­dia.com
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