Un drame qui frappe
La tragédie de Saint-jean-vianney a non seulement marqué l’histoire de la région, mais a aussi frappé l’imaginaire de plusieurs générations de Saguenéens.
Comme plusieurs travailleurs de l’aluminerie Alcan, mon défunt grand-père maternel avait projeté d’aller s’établir dans ce village, où les terrains et les maisons étaient bon marché. Avec de nombreuses bouches à nourrir, on économisait partout où on le pouvait.
Ma grand-mère, aujourd’hui décédée, s’était toutefois opposée à ce déménagement, parce qu’elle ne voulait pas s’éloigner de Kénogami. Heureusement.
Qui sait ce qui aurait pu se passer, si la famille avait emménagé dans l’une de ces maisons construites sur un sol argileux, dont une quarantaine a été emportée dans une coulée de boue, le soir du 4 mai 1971 ? « Quand on parle de destin… », soupire ma mère, 50 ans plus tard.
Mon père, qui n’était pas encore mon père à l’époque puisque je n’étais pas née, s’était rendu sur les lieux de la tragédie, dans les jours suivants. Son ami et lui avaient pu passer les barrières en montrant leur carte étudiante. Ils voulaient écrire un article pour le journal du Cégep du Vieux Montréal. Ils étaient revenus exprès, le temps d’une fin de semaine.
Des militaires gardaient la place, mais il était possible de s’approcher. Au bord du trou, il avait pu voir les maisons emportées, sous lesquelles gisaient toujours les corps de disparus, dont certains n’ont encore jamais été retrouvés.
Un autobus qui transportait des travailleurs d’alcan, qui ont tous survécu par miracle, était toujours visible dans le ravin, m’a-t-il raconté cette semaine. « Ça devait être terrible, ils ont tellement dû avoir peur. »
Comme bien des jeunes à l’époque, même s’il n’a pas été touché directement, il n’a jamais oublié. Il a conservé les photographies prises ce jour-là, qu’il m’a remises cette semaine.
DEVOIR DE MÉMOIRE
Lorsque nous étions petits, lors des balades en voiture du dimanche, nos parents, comme bien d’autres, nous emmenaient voir parfois ce qui restait de Saint-jean-vianney. On pouvait apercevoir les lieux de loin et la végétation avait à peu près tout recouvert, mais on trouvait malgré tout la vision fascinante.
Nos parents nous avaient raconté les grandes lignes de la catastrophe. L’effondrement présentait les dimensions de six terrains de football. Les gens avaient cru à la fin du monde, s’évadant dans la noirceur et la brume.
Les plus chanceux ont survécu, mais certains ont perdu des membres de leur famille, ou même leur famille entière. Tous ont été déracinés, après la fermeture du village.
Le drame, d’une ampleur inégalée au Canada, a marqué à ce point la collectivité qu’il aura fallu attendre 50 ans pour qu’un mémorial soit inauguré sur le site.