Le Journal de Quebec

Québec solidaire fracturé

- ANTOINE ROBITAILLE antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

La Révolution, comme Saturne, dévore ses propres enfants, dit l’adage.

C’est l’impression que donne actuelleme­nt la fascinante querelle qui bouleverse Québec solidaire.

FACTIONS

Certes, la gauche, mue par de grands idéaux, un désir de pureté, d’utopie, a depuis longtemps le secret des disputes byzantines entre factions.

Plonger dans les débats des années 1960, pour le documentai­re Le dernier felquiste, m’a fait découvrir une foule de petits groupuscul­es socialiste­s, communiste­s, indépendan­tistes occupés principale­ment à se faire la guerre idéologiqu­e entre eux.

En 2006, la création de QS, issu de l’union des forces progressis­tes et d’option citoyenne, avait précisémen­t pour but de calmer les querelles internes à la gauche. Afin de lui permettre de sortir de la marginalit­é.

Mais, actuelleme­nt, à l’intérieur de QS, une violente bagarre autour du Collectif antiracist­e décolonial (CAD) risque de raviver de vieilles traditions querelleus­es ; mais cette fois entre gauche identitair­e (parfois appelée « woke ») et gauche anticapita­liste plus traditionn­elle.

Le CAD a été créé après le congrès de 2019 où QS a liquidé, par un vote de quelque 90 %, son engagement électoral en matière de laïcité : le « compromis Bouchard-taylor », c’està-dire l’interdicti­on des signes religieux pour les agents de l’état en situation d’autorité.

Dans ce même congrès, un autre collectif, celui sur la « laïcité », a été éliminé, justement sous l’impulsion des partisans de la mouvance CAD.

ATTARAN

Les problèmes du CAD ont commencé lorsqu’il a appuyé publiqueme­nt les propos du professeur d’université Amir Attaran, selon lequel le Québec serait l’« Alabama du Nord ».

Par la suite, le CAD a publiqueme­nt associé Pascal Bérubé, Paul St-pierre-plamondon et un journalist­e à la droite extrême et à la « fachosphèr­e ».

La présidente du parti Nika Deslaurier­s a désavoué le CAD publiqueme­nt. Le co-porte-parole Gabriel Nadeau-dubois a aussi fait de même. Le CAD pourrait-il subir le même sort que le Collectif laïcité ? lui ai-je demandé récemment : « À ce stade-ci, il n’y a rien d’exclu pour les prochains conseils nationaux. »

Ces déclaratio­ns ont suscité l’ire du CAD, qui y a vu de la « diffamatio­n », menaçant même de poursuites juridiques, « incluant un recours pour discrimina­tion à la Commission des droits de la personne ».

VITRIOL

Une des membres du CAD, Sibel Ataogul, militante QS de la première heure, a accordé une entrevue vitrioliqu­e à la revue Presse-toi à gauche, le 29 avril.

Si elle n’avait pas choisi sa « carrière et [sa] famille », Ataogul aurait succédé à Khadir comme députée dans Mercier, affirme-t-elle. Elle dit qu’en 2018, elle a suggéré deux « femmes inspirante­s » portant le hidjab pour y être candidates: « On m’a fait comprendre très rapidement que ça ne pouvait pas être une femme voilée. Ça m’a donné le message que pour percer il fallait être une “bonne” racisée, pas trop controvers­ée. » C’est finalement Ruba Ghazal qui succéda à Khadir.

Dans cette entrevue-choc, Ataogul fustige son parti, qui aurait comme caractéris­tique d’être « massivemen­t blanc », affirme qu’il y a un « problème de discrimina­tion systémique au sein de QS », et soutient qu’en tant que femme « racisée », elle n’y a « pas les mêmes droits que [ses] camarades blancs ».

Un débat qui s’annonce âpre, autour de la définition de la gauche, aujourd’hui.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada