Le Journal de Quebec

Des anges gardiens forcés de travailler sans papiers

Ces travailleu­rs essentiels attendent toujours leur résidence permanente

- ANNE CAROLINE DESPLANQUE­S

OTTAWA | Le Québec n’a délivré aucun visa aux 2853 anges gardiens qui en ont fait la demande depuis six mois, forçant ces travailleu­rs de la santé à aller au front tous les jours sans papiers et sans assurance maladie.

« Je suis très déçue parce que c’est un mouvement qui est parti du Québec soi-disant pour remercier ces personnes. Les faire attendre comme ça, ça relève de la mesquineri­e », gronde la directrice générale de la Maison d’haïti, Marjorie Villefranc­he.

Elle a été une des premières à réclamer que Québec et Ottawa régularise­nt le statut des travailleu­rs essentiels sans papiers qui soignent nos aînés et mettent de la nourriture sur nos tables depuis le début de la crise de la COVID-19.

« Ces personnes nous apportent dans des conditions exceptionn­elles leurs compétence­s, leur dévouement et leur dignité afin de nous aider à combattre cette pandémie tout en risquant leur propre santé et celle de leur famille », écrivait-elle en mai 2020.

Au même moment, Eva St-yves (nom fictif par crainte de représaill­es) trimait comme préposée aux bénéficiai­res dans une résidence pour personnes âgées de l’arrondisse­ment de Montréal-nord. Elle y est entrée en pleine hécatombe, après avoir été trimballée pendant quatre mois d’un CHSLD à l’autre.

« J’avais tellement peur. Quand je rentrais du travail, je me déshabilla­is devant la porte, je ne touchais pas mes enfants avant d’avoir mis tout mon linge dans la machine et de m’être lavée », raconte cette mère de trois jeunes enfants.

SORTIR DE LA PRÉCARITÉ

Arrivée à Saint-bernard-de-lacolle en décembre 2018 depuis le Venezuela, cette Haïtienne a traversé la moitié du continent en bateau, à pied, en bus et en train, avec deux jeunes enfants dans les bras.

Son époux avait pris la même route quelques mois plus tôt et lui envoyait de quoi survivre grâce à un emploi dégoté dans une usine de Montréal.

Pour cette famille, le Programme spécial des demandeurs d’asile en période de COVID-19 entré en vigueur le 14 décembre dernier représente la porte de sortie de la précarité. Son objectif est d’offrir la résidence permanente aux demandeurs d’asile qui dispensent des soins directs aux patients pendant la pandémie.

RIEN DANS LA BELLE PROVINCE

Comme Mme St-yves, 7577 personnes ont envoyé une demande pour en bénéficier, dont 2853 au Québec. Mais en date du 10 avril, 216 seulement avaient été admises au pays, et aucune au Québec, d’après les données d’immigratio­n et citoyennet­é Canada obtenues par Lejournal.

« Québec prend vraiment son temps pour gérer une goutte d’eau dans l’océan », souffle Me Guillaume Cliche Rivard, de l’associatio­n des avocats en droit de l’immigratio­n.

Ces délais administra­tifs ont des conséquenc­es dramatique­s, explique-t-il.

« Souvent, ce sont des familles qui sont séparées. Un des conjoints est ici, les enfants sont à l’étranger. Sans ce papier, ils ne peuvent pas entamer le processus de réunificat­ion familiale. Aussi, ils ne sont pas admissible­s à la RAMQ [Régie de l’assurance maladie du Québec], donc à tous les services qu’ils dispensent eux-mêmes. »

 ?? PHOTO CHANTAL POIRIER ?? Préposée aux bénéficiai­res depuis le début de la pandémie, cette femme, qui a accepté de se confier au Journal sous couvert de l’anonymat, offre des soins auxquels elle n’a pas droit, parce que Québec tarde à lui accorder la résidence permanente.
PHOTO CHANTAL POIRIER Préposée aux bénéficiai­res depuis le début de la pandémie, cette femme, qui a accepté de se confier au Journal sous couvert de l’anonymat, offre des soins auxquels elle n’a pas droit, parce que Québec tarde à lui accorder la résidence permanente.

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