Des professionnels qui veulent sortir de l’ombre
Je suis ingénieur en milieu scolaire. Je sais, nous ne sommes pas nombreux, et assez silencieux, car nous travaillons dans l’ombre et nous sommes visibles seulement lorsqu’il y a des travaux, mais nous sommes toujours là. En fait, je dis toujours, mais moi et mes collègues ingénieurs et architectes le sommes de moins en moins…
Le milieu scolaire est un secteur d’expertise particulier : on doit connaître, comprendre, penser le fonctionnement des écoles et innover sur celui-ci afin de permettre aux professeurs, aux professionnels et surtout aux élèves d’avoir un milieu de vie sain et propre aux apprentissages. Ceci, en plus de notre discipline technique originale qui est plus liée à l’architecture, la mécanique, la structure, l’électricité et la gestion contractuelle de projets et d’entrepreneurs.
Donc, améliorer la qualité de l’air dans les écoles, ça passe par nous. L’ajout de nouvelles écoles, c’est nous. Le nouveau gymnase dans une école de quartier parce que le dernier date d’il y a 40 ans, c’est nous. Les classes modulaires que l’on ajoute parce que le rythme de la construction ne suit pas celui de la démographie, c’est nous. Les chantiers de salles de toilettes, de toitures et de fenêtres qui auront lieu cet été dans les écoles, la construction d’agrandissements, c’est aussi nous.
INJUSTICE
Nous avons cependant un fort sentiment d’injustice en ce moment. Contractuellement, on doit avoir un véhicule pour se déplacer d’un chantier à l’autre, mais nous sommes remboursés 21 % en deçà des recommandations du gouvernement fédéral, ce qui a pour résultat que l’on perd de l’argent en effectuant notre travail.
Aussi, en tant qu’ingénieur dans un ministère typiquement masculin, par exemple au ministère des Transports (MTQ), ou à la Société québécoise des infrastructures
(SQI), je gagnerais au maximum de l’échelle salariale au minimum
10 % de plus, ma cotisation à l’ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) serait payée, ainsi qu’une formation continue pertinente qui serait fournie par l’employeur.
Ce qui fait que les ingénieurs et architectes du secteur de l’éducation sont actuellement les moins bien traités de tout le système public et parapublic québécois, qui inclut le provincial, le municipal et le fédéral.
RECRUTEMENT DIFFICILE
Il va sans dire que pour ceux qui ont encore la flamme, la situation est tellement frustrante que cette flamme cherche à s’éteindre. Pour les autres, ils s’en vont où le marché est le plus offrant, les opportunités actuelles sont vraiment alléchantes.
D’ailleurs, plus de 50 % de mes collègues ont moins de deux ans d’expérience chez nous. Nous ne réussissons pas assez à attirer ni à conserver notre expertise à l’interne, nous sommes toujours en train de former des nouveaux qui font leur possible, mais qui n’ont pas eu le temps de développer les bons réflexes avant de s’en aller là où le soleil brille un peu plus. Ça, ce sont les élèves qui payent inévitablement pour ça, et ça, ça accentue notre sentiment d’iniquité.
L’équité, c’est qu’à travail égal, un homme gagne la même chose qu’une femme, c’est aussi qu’un psychoéducateur/psychoéducatrice gagne la même chose qu’un(e) ingénieur(e). Mais c’est aussi qu’on offre les mêmes conditions de travail à un ingénieur ou à une architecte qui contribuent à construire un milieu de vie adéquat pour nos élèves qu’à un autre qui s’occupe des bâtiments du ministère de l’éducation.
C’est donc par mon devoir de loyauté envers mon employeur et le public que je vous demande, Messieurs Legault et Roberge, de régler cette iniquité systémique qui subsiste encore dans le milieu de l’éducation. Les générations futures en sortiront gagnantes.