Amateurs de poésie, bye bye !
Quand la nouvelle est parue dans Le Devoir, je n’en croyais pas mes yeux.
Le chroniqueur Normand Baillargeon révélait qu’une enseignante d’immersion française de Toronto a été suspendue puis a reçu une sanction disciplinaire… juste parce qu’un de ses étudiants trouvait raciste un poème qu’elle leur avait distribué !
Juste parce que le grand poète français Jacques Prévert parle de « marché aux esclaves » dans le splendide texte Pour toi mon amour !!!
Si on avait besoin encore une fois d’une preuve de la stupidité des dérives politiquement correctes, celle-là remporterait la médaille d’or !
POÈTES, VOS PAPIERS !
La nouvelle a fait le tour du monde puisqu’elle s’est même retrouvée dans le Courrier international.
La prof Nadine Couvreux a simplement proposé à ses élèves (de 16 ans) de se pencher sur ce texte de Prévert qui contient les vers suivants : « Pour toi mon amour / Je suis allé au marché aux oiseaux / Et j’ai acheté des oiseaux / Pour toi mon amour / (...)
Je suis allé au marché aux esclaves / Et je t’ai cherchée mais je ne t’ai pas trouvée, mon amour. »
That’s it, that’s all, comme on dit à Toronto.
Faut-il être assez niaiseux pour penser que Prévert, mort il y a 44 ans, est raciste ! Fautil être une petite chose fragile pour s’effondrer dès qu’on prononce un mot comme « esclave » !
Ce que nous dit Prévert dans ce poème, si on veut le prendre au premier degré, c’est que l’amour peut parfois ressembler à une soumission telle qu’on devient esclave de l’autre. C’est une IMAGE, une MÉTAPHORE, un deuxième degré.
Ils ne savent pas c’est quoi, une métaphore, les étudiants en immersion de Toronto ? Qu’ils s’achètent un dictionnaire !
Quand Prévert parle, par exemple, des chaînes pour son amour, c’est une façon de parler. C’est ça que ça fait, des poètes, ça poétise.
Quand Paul Éluard écrit : « La terre est bleue comme une orange », c’est de la poésie.
Quand Gaston Miron écrit : « Je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
Lentement, je m’affale de tout mon long dans l’âme », c’est de la poésie. Mais qu’estce qu’on leur apprend aux élèves de 16 ans aujourd’hui, bordel ?
Si on bannit ce poème de Prévert, bannissons aussi des ondes toutes les chansons qui ont comparé l’amour à un esclavage, comme Slave to love de Bryan Ferry.
Faut-il manquer de culture et de jugement pour penser que parler d’esclave c’est faire l’apologie de l’esclavagisme ! Ce serait bien que Les petits Censeurs nous envoient une Liste des Mots Autorisés. Mon petit doigt me dit qu’elle sera courte.
Ça fait des décennies que des enfants, partout dans la francophonie, étudient ou apprennent par coeur des poèmes de Prévert. Mais il aura fallu qu’on vive en Absurdistan pour que ce génie des mots soit considéré comme un dangereux auteur toxique.
ÉCRAN DE FUMÉE
J’ai échangé avec Nadine Couvreux, qui ne veut plus commenter l’affaire. Elle m’a quand même écrit ceci : « Prévert restera toujours Prévert avec toujours sa cigarette au bec, même si les temps ne sont plus au tabac ! »
Tiens, ce serait la meilleure, celle-là : qu’on censure les photos de Prévert juste parce qu’il fume une cigarette…