Le Journal de Quebec

Des documentai­res ou des pamphlets ?

- RICHARD MARTINEAU richard.martineau @quebecorme­dia.com

Lundi, je buvais une limonade sur la terrasse du Café Bonaparte, à Paris, quand j’ai vu un vieux monsieur marcher à petits pas et s’asseoir juste devant moi.

« Je pense que c’est Frederick Wiseman, dis-je à mon fils.

— Qui ?

— Frederick Wiseman, l’un des plus grands sinon LE plus grand réalisateu­r de documentai­res de toute l’histoire du cinéma… » C’était effectivem­ent lui. Impression­né de voir une telle légende devant moi (l’homme a 91 ans et a tourné une cinquantai­ne de films), j’ai pris mon courage à deux mains et échangé quelques mots avec lui…

LA MÉTHODE WISEMAN

Cette rencontre est tombée d’autant plus à point que je voulais justement écrire une chronique sur les documentai­res.

Enfin, ce qu’on présente aujourd’hui comme des documentai­res, mais qui ne sont trop souvent que des pamphlets, des films à thèse, des oeuvres à charge…

Savez-vous comment travaille Frederick Wiseman ?

Primo, il se pose une question toute simple : comment ça se passe dans un hôpital ? Dans les coulisses d’un opéra ? Dans une cour de justice ? Ou dans un poste de police ?

Qu’est-ce qu’il se passe, dans ces endroits protégés du regard public ? Comment les gens y travaillen­t, comment le système fonctionne ?

Wiseman n’a pas d’idée préconçue ni de thèse à défendre… Il ne commence pas son film en se disant : « Je veux prouver telle ou telle thèse, montrer qu’un tel est méchant ou qu’un tel est bon », non, il se lance dans son projet avec pour seul but de filmer le plus objectivem­ent possible ce qui va se passer devant lui.

Une fois qu’il a choisi le lieu où il va tourner, il s’y rend et y passe plusieurs mois.

Sans caméra ni micro. Il ne fait que regarder ce qui s’y passe. Sans dire un mot ni interviewe­r qui que ce soit.

Ce n’est qu’une fois qu’il s’est complèteme­nt imprégné de l’endroit qu’il commence à tourner. Pendant des mois. À imprimer des kilomètres et des kilomètres de pellicule, qu’il va transforme­r en un film de trois heures.

C’est ça, un documentai­re de Frederick Wiseman.

Je dirais même : c’est ça, un documentai­re, point.

LE MÉLANGE DES GENRES

Aujourd’hui, on dit que les films de Michael Moore (comme Roger and Me, Bowling for Columbine et Fahrenheit 9/11, qui a remporté la Palme d’or à Cannes) sont des documentai­res !!!

Or, ces longs métrages n’ont rien à voir avec des documentai­res !

Ce sont des films à thèse ! Un documentar­iste filme la réalité telle qu’elle est, sans intervenir et sans vouloir « transmettr­e un message ».

Alors qu’un pamphlétai­re agit comme un militant. Il part avec une idée préconçue, interviewe des intervenan­ts qui pensent exactement comme lui et met de côté tous les faits et toutes les entrevues qui vont à l’encontre de sa thèse!

Avant, on tournait beaucoup de documentai­res au Québec et dans le monde. C’était la grande époque du « cinéma direct ».

Mais maintenant, on en tourne beaucoup moins. On préfère produire des films « coup de poing », des oeuvres militantes, des pamphlets-chocs.

Ces films ont leur place, bien sûr.

Mais de grâce, qu’on ne les présente pas comme des documentai­res !

C’est une insulte lancée aux géants du genre comme Frederick Wiseman.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada