Les médecins spécialistes profitent du privé
Le système permet le passage du public au privé, et beaucoup de patients sont prêts à payer le prix fort
Plus de 70 médecins spécialistes ont quitté le régime public de façon temporaire pour soigner des patients au privé depuis le début de la pandémie au Québec, une réalité qui risque de s’accentuer avec les longs délais d’attente en chirurgie.
« C’est dommage, mais c’est le système public qui engendre toute cette dérive-là », estime le Dr PascalAndré Vendittoli, un chirurgien orthopédique qui se désaffilie tous les deux mois. « Le système n’offre pas de soins appropriés aux patients. »
Depuis le début de la pandémie, en mars 2020, 71 médecins spécialistes ont quitté la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ) au moins une fois, avant de revenir au public, a compilé Le Journal.
La plupart des médecins qui le font sont pneumologues, radiologistes et orthopédistes ( voir le tableau). L’objectif ? Soigner des patients dans une clinique privée, à fort coût, plus rapidement.
En général, les médecins quittent la RAMQ pour huit jours, le minimum permis par la loi, et reviennent ensuite au public ( voir démarche).
Plusieurs cliniques privées de la région de Montréal (urologie, radiologie, orthopédie) sont organisées pour avoir un médecin hors RAMQ disponible. Certains se sont désaffiliés près de 10 fois depuis un an.
« Ça contribue à désintégrer le réseau public. C’est un cercle vicieux. Plus le privé se développe, plus on draine les ressources du public et les listes d’attente s’allongent », déplore la Dre Karyne Pelletier, vice-présidente du regroupement Médecins québécois pour le régime public.
Elle craint des dérives éthiques, puisqu’un médecin peut exagérer sa liste d’attente pour convaincre des patients d’aller au privé.
« Ça fait comme un système parallèle », dit-elle.
MÉDECINS EN COLÈRE
Ce va-et-vient suscite de la grogne chez des médecins joints par Le Journal, qui sont contre cette pratique pour des raisons éthiques. Ils soulignent que ce problème serait facilement réglé si la RAMQ imposait une désaffiliation d’un an.
« Je ne comprends pas que ce soit toléré », dit l’un d’eux.
Selon plusieurs, la paralysie des blocs opératoires pendant la pandémie a exacerbé le va-et-vient au privé. Environ 146 000 Québécois attendent une chirurgie. Exaspérés et souffrants, des patients aisés sont prêts à payer pour passer plus vite.
« On forme des gens à grands frais et on ne les fait pas travailler la moitié du temps. […] C’est un peu ridicule. Les compétences doivent être optimisées. Si le privé permet ça, pourquoi pas ? » demande le Dr Jean-françois Joncas, président de l’association des chirurgiens orthopédiques du Québec. Ce dernier espère que la pandémie aura permis de revoir tout le système pour améliorer l’accès.
La Fédération des médecins spécialistes du Québec et l’association des radiologistes ont refusé notre demande d’entrevue.