DES DOCUMENTS PROUVENT T L’INGÉRENCE POLITIQUE D’OTTAWA
Des documents indiquent qu’elle aurait voulu favoriser l’associé d’un de ses contributeurs politiques
À première vue, les faits rappellent – pour ceux qui ont de la mémoire – l’affaire Bellemare.
Une ministre du cabinet Trudeau, Diane Lebouthillier, aurait « beaucoup insisté » pour que Damien St-onge, l’associé d’un de ses contributeurs, soit nommé juge à la Cour supérieure.
Et il l’a effectivement été, en mars 2019.
Comme ancien reporter ayant couvert la commission Bastarache, déclenchée par Jean Charest en 2010 pour examiner dans le détail les allégations de son ancien ministre de la Justice, je sais à quel point on est en terrain glissant.
Je n’écrirais pas sur cette affaire s’il n’y avait pas un document de deux pages intitulé « Due Diligence », daté du 4 février 2019, émanant du cabinet du ministre de la Justice David Lametti, où c’est écrit noir sur blanc. Voici le paragraphe, avec les fautes : « Notes : L’associé de Damien St-onge, William Assel [sic], est un contributeur et organisateur de la campagne de Diane Lebouthillier en 2015. Il a incité cette dernière à se manifester en faveur de Damien St-onge. Il semble que c’est la raison pourquoi [sic] Diane Lebouthillier a beaucoup insisté sur cette candidature, malgré la recommandation plus favorable du comité consultatif envers la candidature de [Autre candidat].
General Advice: High risk. La proximité de l’associé William Assel [sic] avec Diane Lebouthillier est sans doute connu [sic] dans la région. »
« VIGOUREUSEMENT APPUYÉE »
Le « Due Diligence », m’a-t-on expliqué, est un document interne au cabinet, confidentiel, produit après que le ministre a pris sa décision. Pour tenter de prévenir les réactions que pourrait susciter l’annonce de la nomination.
Le document est authentique, reconnaissent des sources gouvernementales, sauf pour deux modifications étranges : dans la version que j’ai reçue, la recommandation n’est pas « high risk », mais « low risk ». On aurait aussi ajouté le mot « organisateur » et retiré un « [1000 $] ».
Mais l’affirmation est là : la ministre du Revenu national Lebouthillier a, sous pression de ses contributeurs de Gaspésie–les Îles-de-la-madeleine, favorisé la nomination d’un juge.
Dans un courriel où l’on sollicitait l’avis des membres du cabinet sur les candidatures à venir, on peut aussi lire que Mme Lebouthillier l’a « vigoureusement appuyée » (« strongly endorsed »).
Ce qui aurait amené le ministre de la Justice à ne pas choisir un des candidats ayant reçu une recommandation plus favorable.
Rien d’illégal ici, remarquez. Le ministre fédéral a une discrétion à peu près totale dans le choix final du juge. Et bien sûr, toute cette histoire ne fait pas de M. St-onge un mauvais juge
Au Québec, la discrétion est beaucoup moins absolue pour la nomination des juges aux Cours du Québec et aux tribunaux administratifs. Après, justement, la commission Bastarache, le processus de nomination a été repensé pour le rendre moins perméable aux influences partisanes
( voir encadrés en page 4).
À Ottawa, le journaliste Daniel Leblanc au Globe and Mail puis à RadioCanada a démontré que la « libéraliste » était utilisée par les libéraux de Trudeau pour passer les candidats à la magistrature au crible, afin de déterminer s’ils étaient donateurs libéraux, sympathisants, ou non.
Dans une nomination, la discrétion politique est acceptable, si seulement les critères qui conduisent à la décision finale sont justifiables, explique la professeure de droit à l’université de Sherbrooke Geneviève Cartier (sans se prononcer, précise-t-elle sur le cas précis de Lebouthillier). « Or, le lien partisan n’est certainement pas un critère acceptable. »
PAS PARTISANE
Diane Lebouthillier et Me Willam Assels ont refusé de parler. Au PLC, on a affirmé hier soir que « l’intégrité du processus a été respectée et aucune pression n’a été appliquée ».
Des sources gouvernementales ont aussi fait savoir que la note controversée a été produite par un employé de cabinet parti en mauvais termes. Dont le fameux paragraphe relève de la « pure spéculation ». D’ailleurs, on y trouve les mots « il semble que ».
De plus, si l’autre candidat a finalement été écarté malgré sa « recommandation plus favorable », la raison en serait bien banale : celui-ci aurait eu des « contraintes géographiques ». Il refusait d’aller siéger loin de son domicile.
Peut-être qu’on est loin d’une affaire de type Bellemare. Peut-être pas. Mais avec les révélations sur la « libéraliste », les reproches de l’ancienne ministre de la Justice Jody Wilson Raybould (qui a dit à Radio-canada avoir dû résister à de nombreuses tentatives du bureau du PM d’influencer le processus de nomination), on doit conclure qu’une commission Bastarache au fédéral s’impose.
Dans son rapport, Bastarache a rejeté les allégations de Marc Bellemare, mais aujourd’hui, après l’application de la plupart de ses recommandations, le processus de nomination des juges au Québec est un modèle à suivre.