Le Journal de Quebec

Josée Legault

- JOSÉE LEGAULT josee.legault@quebecorme­dia.com

Au lendemain de la performanc­e décevante du chef conservate­ur, Erin O’toole, au dernier débat des chefs en français, François Legault en a surpris plusieurs en se portant illico à sa rescousse.

De fait, la nette préférence exprimée par le premier ministre du Québec pour une victoire minoritair­e de M. O’toole lance un appel aux « nationalis­tes » à voter conservate­ur.

Les jugeant « dangereux » pour le Québec, M. Legault a même enjoint aux électeurs de se « méfier » du chef libéral Justin Trudeau, du NPD et du Parti vert. Tous trop « centralisa­teurs ». Et ce, sans dire un mot du Bloc québécois et de son chef, Yves-françois Blanchet.

Pour le premier ministre Legault, une ingérence aussi directe en terrain électoral fédéral, est un pari risqué. À ceux qui, parmi les nationalis­tes, s’apprêtent à voter pour le

Bloc, pourtant l’allié indéfectib­le de M. Legault à Ottawa depuis 2019, un tel message est carrément désarçonna­nt.

Un autre risque d’appuyer Erin O’toole est de le faire alors qu’il promet de priver le Québec de 6 milliards $ en reniant l’entente Trudeau-legault sur les services de garde.

En tournant nommément ses canons contre Justin Trudeau, François Legault risque même de mettre à mal la relation productive qu’avaient développée les deux chefs de gouverneme­nt ces derniers mois.

LE CIEL EST BLEU, L’ENFER EST ROUGE

L’appui aux conservate­urs, même involontai­rement, risque aussi de faire fi d’autres valeurs consensuel­les québécoise­s. Y compris la reconnaiss­ance du droit des femmes à l’avortement et la lutte aux changement­s climatique­s.

De toute évidence, la sortie de M. Legault témoigne surtout de son inquiétude face à la possibilit­é croissante d’une victoire libérale minoritair­e. Le Bloc étant condamné à l’opposition, il en appelle donc aux « nationalis­tes » de voter bleu, mais conservate­ur – seul parti apte à ravir le pouvoir aux libéraux.

Pour Justin Trudeau, seul le résultat de l’élection dira jusqu’où ce coup de Jarnac lui aura nui ou non. À moins que le Bloc, largué à son tour, ne soit celui à en pâtir le plus dans l’isoloir. Impossible de le savoir pour le moment.

Les plus vieux y auront sûrement entendu l’écho d’une phrase légendaire en politique pré-révolution tranquille : « Le ciel est bleu, l’enfer est rouge ».

C’est bien ce que le clergé prêchait à ses fidèles canadiens-français en leur enjoignant de rejeter l’« enfer » rouge libéral pour le « paradis » bleu de l’action nationale.

RETOUR AU MIRAGE DE 2006 ?

L’histoire plus récente enseigne pourtant à se méfier des sirènes conservatr­ices post-mulroney. En 2006, pressés comme d’autres Canadiens de punir les libéraux pour le scandale des commandite­s – réaction tout à fait compréhens­ible –, ils ont connu un résultat qui n’en fut pas moins malheureux.

S’est ensuivie une décennie de régime Harper, autoritair­e et pro-pétrole. Le Québec, lui, avait dû se contenter de mamours « décentrali­sateurs » essentiell­ement cosmétique­s.

Devant les Québécois, M. Harper excellait en effet dans les belles phrases creuses dénuées de toute substance capable d’élargir véritablem­ent les pouvoirs du Québec.

Bref, la question que se posent plusieurs Québécois, nationalis­tes ou pas, n’est-elle pas plutôt celle-ci : même sous Erin O’toole, veulent-ils vraiment succomber à nouveau au mirage conservate­ur ?

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada