Maudits Frogs
Qu’ils sont tannants, ces francos, à vouloir se faire servir dans leur langue.
Je parle surtout de ceux qui insistent et qui, déçus, finissent par porter plainte aux autorités compétentes.
Les vrais combattants de la langue, des droits linguistiques.
Ces droits qui disparaissent lorsqu’on ne les utilise pas.
Use it or lose it.
Ces droits qui sont écrits noir sur blanc dans des lois, des règlements, et qu’on ignore ou bafoue trop souvent.
Par ignorance ? Par paresse ? Sans doute. Par mépris ? Certainement.
CONDESCENDANCE
Le PDG d’air Canada a servi un exemple patent de cette condescendance cette semaine. Car il en faut pour ne pas parler un traître mot de français après avoir habité 14 ans à Montréal, et s’en vanter en plus.
Ce dédain pour ces Frogs, on le retrouve en haut de la pyramide, mais aussi sur le plancher des vaches.
Le commissaire aux langues officielles fédéral a récemment enquêté auprès des agents de sécurité de 13 aéroports canadiens désignés bilingues en vertu de la loi, après avoir reçu des plaintes de voyageurs.
Ces rapports ne sont pas publics. Un plaignant a bien voulu me partager le document.
Voici quelques exemples d’incidents survenus du 1er avril 2019 au 31 août 2020, sur les 34 étudiés par le commissaire.
À Ottawa : « L’agent a fait une offre active de service ; cependant, lorsque le plaignant lui a répondu en français, l’agent a continué à parler en anglais. Lorsque le plaignant a répondu “Pardon”, l’agent a levé les yeux au ciel et a poursuivi la conversation en anglais, sans demander l’aide d’un collègue bilingue. »
À Toronto : « Un agent de contrôle de L’ACSTA n’a pas fourni de service en français. L’agent a informé le plaignant qu’ils étaient en Ontario, et non au Québec, et que la langue principale d’interaction devait être l’anglais. »
À Halifax : « Le plaignant a affirmé au deuxième agent qu’il était obligé d’offrir le service dans les deux langues officielles. L’agent aurait répondu que ce n’était pas le cas et aurait continué à communiquer en anglais seulement. Selon le plaignant, les agents se sont moqués du plaignant lorsqu’ils avaient le dos tourné. »
À Montréal aussi, un agent de sécurité s’est adressé uniquement
Le gouvernement fédéral est lui-même un bien mauvais élève.
en anglais à un passager, qui a porté plainte.
MAUVAIS ÉLÈVE
Rappelons que l’administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA) est une société de la Couronne fédérale, comme Postes Canada, par exemple.
Les députés du gouvernement Trudeau ont été vites sur la gâchette pour déplorer les propos du PDG d’air Canada.
« Inacceptable », a tranché hier Justin Trudeau.
C’est bien beau, mais le gouvernement fédéral est lui-même un bien mauvais élève.
On déchire sa chemise, mais pendant ce temps, des voyageurs francophones se butent trop souvent à un mur d’indifférence.
Immigration Canada recrute des agents unilingues anglophones pour des postes à Montréal, comme l’a rapporté Radio-canada cette semaine.
Le français continue d’être marginalisé dans la fonction publique fédérale, où près de 50 % de ses fonctionnaires francophones se sentent mal à l’aise d’utiliser leur langue au travail.
On attend toujours la réforme de la Loi sur les langues officielles, qui est passée à la trappe à la faveur d’élections fédérales anticipées.
Le lieutenant du Québec, Pablo Rodriguez, et le premier ministre Trudeau lui-même peuvent bien s’indigner des propos de Michael Rousseau. Leur gouvernement traîne un paquet de casseroles.
TALK IS CHEAP
Pour toutes les plaintes officielles déposées, il y a sans doute des milliers d’incidents qui sont passés sous silence.
Entre le cynisme (ou la lucidité) de ceux qui voient un pays qui se complaît dans un bilinguisme de façade, le réflexe du minoritaire qui ne veut pas déranger, par manque d’intérêt ou de temps, on hausse les épaules et on poursuit sa route.
Une posture difficilement condamnable. L’administration canadienne de la sûreté du transport aérien, Air Canada et d’autres nobles institutions canadiennes théoriquement bilingues sont abonnées depuis des années au commissaire aux langues officielles, pour qui le français au fédéral est un problème « systémique ».
L’affaire Michael Rousseau nous rappelle que nous n’en sommes plus à l’étape des petits pas.
Doit-il payer de son poste pour son insolence ? Doit-il servir d’exemple ?
Au-delà de l’indignation, que va faire le gouvernement Trudeau ?
Va-t-il passer de la parole aux actes ? Parce que, voyez-vous, talk is cheap.