Le Journal de Quebec

Maudits Frogs

- GUILLAUME ST-PIERRE c guillaume.st-pierre2 @quebecorme­dia.com Chef du bureau parlementa­ire à Ottawa

Qu’ils sont tannants, ces francos, à vouloir se faire servir dans leur langue.

Je parle surtout de ceux qui insistent et qui, déçus, finissent par porter plainte aux autorités compétente­s.

Les vrais combattant­s de la langue, des droits linguistiq­ues.

Ces droits qui disparaiss­ent lorsqu’on ne les utilise pas.

Use it or lose it.

Ces droits qui sont écrits noir sur blanc dans des lois, des règlements, et qu’on ignore ou bafoue trop souvent.

Par ignorance ? Par paresse ? Sans doute. Par mépris ? Certaineme­nt.

CONDESCEND­ANCE

Le PDG d’air Canada a servi un exemple patent de cette condescend­ance cette semaine. Car il en faut pour ne pas parler un traître mot de français après avoir habité 14 ans à Montréal, et s’en vanter en plus.

Ce dédain pour ces Frogs, on le retrouve en haut de la pyramide, mais aussi sur le plancher des vaches.

Le commissair­e aux langues officielle­s fédéral a récemment enquêté auprès des agents de sécurité de 13 aéroports canadiens désignés bilingues en vertu de la loi, après avoir reçu des plaintes de voyageurs.

Ces rapports ne sont pas publics. Un plaignant a bien voulu me partager le document.

Voici quelques exemples d’incidents survenus du 1er avril 2019 au 31 août 2020, sur les 34 étudiés par le commissair­e.

À Ottawa : « L’agent a fait une offre active de service ; cependant, lorsque le plaignant lui a répondu en français, l’agent a continué à parler en anglais. Lorsque le plaignant a répondu “Pardon”, l’agent a levé les yeux au ciel et a poursuivi la conversati­on en anglais, sans demander l’aide d’un collègue bilingue. »

À Toronto : « Un agent de contrôle de L’ACSTA n’a pas fourni de service en français. L’agent a informé le plaignant qu’ils étaient en Ontario, et non au Québec, et que la langue principale d’interactio­n devait être l’anglais. »

À Halifax : « Le plaignant a affirmé au deuxième agent qu’il était obligé d’offrir le service dans les deux langues officielle­s. L’agent aurait répondu que ce n’était pas le cas et aurait continué à communique­r en anglais seulement. Selon le plaignant, les agents se sont moqués du plaignant lorsqu’ils avaient le dos tourné. »

À Montréal aussi, un agent de sécurité s’est adressé uniquement

Le gouverneme­nt fédéral est lui-même un bien mauvais élève.

en anglais à un passager, qui a porté plainte.

MAUVAIS ÉLÈVE

Rappelons que l’administra­tion canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA) est une société de la Couronne fédérale, comme Postes Canada, par exemple.

Les députés du gouverneme­nt Trudeau ont été vites sur la gâchette pour déplorer les propos du PDG d’air Canada.

« Inacceptab­le », a tranché hier Justin Trudeau.

C’est bien beau, mais le gouverneme­nt fédéral est lui-même un bien mauvais élève.

On déchire sa chemise, mais pendant ce temps, des voyageurs francophon­es se butent trop souvent à un mur d’indifféren­ce.

Immigratio­n Canada recrute des agents unilingues anglophone­s pour des postes à Montréal, comme l’a rapporté Radio-canada cette semaine.

Le français continue d’être marginalis­é dans la fonction publique fédérale, où près de 50 % de ses fonctionna­ires francophon­es se sentent mal à l’aise d’utiliser leur langue au travail.

On attend toujours la réforme de la Loi sur les langues officielle­s, qui est passée à la trappe à la faveur d’élections fédérales anticipées.

Le lieutenant du Québec, Pablo Rodriguez, et le premier ministre Trudeau lui-même peuvent bien s’indigner des propos de Michael Rousseau. Leur gouverneme­nt traîne un paquet de casseroles.

TALK IS CHEAP

Pour toutes les plaintes officielle­s déposées, il y a sans doute des milliers d’incidents qui sont passés sous silence.

Entre le cynisme (ou la lucidité) de ceux qui voient un pays qui se complaît dans un bilinguism­e de façade, le réflexe du minoritair­e qui ne veut pas déranger, par manque d’intérêt ou de temps, on hausse les épaules et on poursuit sa route.

Une posture difficilem­ent condamnabl­e. L’administra­tion canadienne de la sûreté du transport aérien, Air Canada et d’autres nobles institutio­ns canadienne­s théoriquem­ent bilingues sont abonnées depuis des années au commissair­e aux langues officielle­s, pour qui le français au fédéral est un problème « systémique ».

L’affaire Michael Rousseau nous rappelle que nous n’en sommes plus à l’étape des petits pas.

Doit-il payer de son poste pour son insolence ? Doit-il servir d’exemple ?

Au-delà de l’indignatio­n, que va faire le gouverneme­nt Trudeau ?

Va-t-il passer de la parole aux actes ? Parce que, voyez-vous, talk is cheap.

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Michael Rousseau lors de sa conférence en anglais seulement à Montréal mercredi.
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