Les restaurateurs en crise
Ceux qui ne regardent pas les chiffres de près auront bientôt de très mauvaises surprises
Les propriétaires d’un restaurant du centre-ville de Drummondville ont déjà réimprimé leur menu deux fois l’été dernier et s’apprêtent à le faire à nouveau cet automne.
« Notre imprimeur fait des affaires d’or », laisse tomber la copropriétaire de La Muse, Julie Arel.
En 10 ans, avec son acolyte, mari et magicien des chiffres, Daniel Paulin, jamais ils n’ont eu à augmenter leurs prix plus d’une fois par année.
« On fait ça à la fin du printemps d’habitude, comme tout le monde », raconte la restauratrice.
En temps normal, poursuit Daniel, les prix des fournisseurs augmentent au printemps et finissent par se réajuster au cours de l’année. Mais pas en 2021 ni en 2020 d’ailleurs.
« Ça vient par vague. Le prix de l’huile a doublé au printemps dernier, et là, c’est les protéines qui montent, avec le poulet en dernier », explique-t-il.
L’assiette de pavé de saumon est passée de 20 $ à 22 $ à 25 $ puis bientôt à 26 $. « Il faut y aller doucement, même si la caisse de saumon est passée de 140 $ à 200 $ d’un coup », fait remarquer Daniel.
Pour le boeuf, « dont le prix a doublé », l’assiette de médaillon a fait un bond de 29 $ à 37 $. Et avec la nouvelle version du menu, ce sera au tour du poulet, dont l’assiette va passer de 27 $ à 29 $.
« En restauration, les marges de profit sont minces, on parle de 3 % à 6 % dans notre cas », confie Daniel.
En plus de la hausse du prix des aliments qui gruge leur marge, il y a aussi les salaires, qui augmentent en raison du manque de main-d’oeuvre. « On vient de proposer à quatre de nos cuisiniers de s’associer pour ne pas en perdre un », confie Julie.
Bref, après 30 ans dans la restauration, le couple « frôle l’écoeurantite aiguë » pour la première fois. « C’est un des plus beaux métiers du monde, mais on est en crise », lâche Daniel.
LOIN D’ÊTRE LES SEULS
Les proprios de La Muse sont loin d’être les seuls restaurateurs à passer un mauvais quart d’heure.
Le transport et les problèmes de la fameuse chaîne d’approvisionnement ne sont pas étrangers à leurs malheurs.
« S’il y a des trous dans les tablettes d’épicerie, c’est la même chose pour les restaurateurs », illustre Sylvain Charlebois de la Faculté en management et en agriculture de l’université Dalhousie, qui traque le prix des aliments depuis plus de 25 ans.
Pour lui, l’accès aux ingrédients est un vrai problème, puisque « la logistique est très difficile à l’heure actuelle ».
Le réflexe du restaurateur sera donc de couper son menu, selon M. Charlebois. « Plus tu as de choix sur le menu, plus ça coûte cher », résume-t-il.
LE DEUX OEUFS BACON AUSSI
Si, à Drummondville, le prix des repas chez La Muse doit constamment être réajusté afin de permettre aux restaurateurs de survivre, c’est un peu la même chose chez L’eggsoeufs à Mcmasterville, en Montérégie.
« Notre deux oeufs bacon est passé en trois ans de 7 $, à 9,50 $. Et là, il faut que je le monte à 11 $ », explique Christopher Soulellis, propriétaire du resto de déjeuners depuis 2008.
Le prix de ses matières premières flambe à vue d’oeil : le cinq kilos de bacon est passé de 30 $ à 55 $, par exemple, et la boîte de saucisses, de 21 $ à 39 $.
Et la semaine prochaine, ce sera le café. « Ça va augmenter de 15 % en raison du transport et des aléas du climat », soupire-t-il.
Bref, tout ce qui compose une assiette de déjeuner coûte plus cher, même les oranges de la Californie ou de la Floride, qui ont doublé de prix récemment.
Et les déjeuners ne coûtent pas plus cher qu’au Québec. Aux États-unis, le célèbre « Indicateur déjeuner du Financial Times », qui se penche sur les variations du prix du café, du lait, du sucre, du blé, de l’avoine et du jus d’orange, a fait un bond de 63 % depuis 2019. La tendance s’est même accélérée ces derniers mois.
Christopher Soulellis et ses 2500 clients par semaine n’ont peut-être encore rien vu, en matière de hausse des prix.