L’émotion des hommes
La mort de Guy Lafleur a libéré un courant souterrain d’émotions chez les hommes québécois.
Durant les derniers jours, des hommes de tous âges et toutes conditions sociales ont témoigné publiquement leur peine, leur tristesse, leur douleur devant la disparition de leur héros, ce dieu du stade.
Soudainement, l’homme québécois, en se révélant de la sorte, a brisé une image stéréotypée de lui-même, à savoir le macho, insensible aux sentiments, contrôlant, brutal, grossier et à court de mots pour exprimer cette « faiblesse » sublime que sont les larmes.
J’ai passé des heures à écouter dans les médias des hommes de sept à soixante-dix-sept ans et plus qui, malgré leur retenue masculine, perdaient la voix, trop bouleversés ou touchés, se raclant la gorge pour terminer leur phrase avant de devenir muets.
ADMIRATION
Les jeunes hommes faisaient référence à leur père qui leur avait transmis l’admiration qu’ils éprouvaient pour le Démon blond. Dans une radio, le jeune journaliste qui recueillait le témoignage d’un aîné a été incapable de contenir ses larmes et il a dû renvoyer à la pause publicitaire.
Cependant, des coéquipiers de Guy Lafleur, habités par une gravité qui vient avec l’âge, trouvaient les mots pour cerner leur peine. Yvan Cournoyer, par exemple, a parlé avec une voix brisée de la perfection de jeu de son ami et de ses qualités de coeur.
En fait, Guy Lafleur a réussi à faire l’unanimité. C’est grâce à cet être complexe et sensible, dépositaire d’un talent incomparable, que tous ses compatriotes éprouvent une fierté rare. Comme les quelques Québécois en politique, dans les arts et les affaires qui ont aussi permis au peuple de ressentir ce sentiment si puissant et nécessaire qu’est l’admiration.
Dans une société si critique, voire hargneuse, et si démoralisée par ailleurs, Guy Lafleur, malgré la peine que son décès a causée, nous redonne vie. Surtout aux hommes québécois, dont l’image projetée dans les médias est souvent injuste, voire fausse.