Consentir au don d’organes : quelle est la place de la famille ?
Bien qu’une personne puisse enregistrer au préalable sa volonté de donner ses organes, son intention ne sera confirmée que lorsque la possibilité du don se concrétisera, c’est-àdire au moment de son décès alors qu’elle aura été amenée à l’urgence ou aux soins intensifs.
Comme intensiviste, je dois mettre en priorité l’intérêt du patient. Toutefois, lorsque ce dernier est incapable d’exprimer sa volonté, c’est légalement vers la famille que je dois me tourner.
UNE QUESTION DÉLICATE
Il revient en effet aux professionnels de la santé d’aborder cette délicate question avec la famille dans un contexte particulièrement chargé en émotions. Non seulement la famille subit la perte d’un être cher, mais doit également intégrer les explications du médecin sur des concepts aussi complexes que la différence entre la mort cérébrale et le coma. Cela sans compter qu’un conflit peut survenir si elle refuse le don d’organes, malgré que le consentement ait été dûment enregistré.
L’option d’outrepasser la volonté de la famille pour procéder au prélèvement des organes nécessiterait des moyens particuliers, telle une injonction du tribunal allant à l’encontre d’une famille en deuil, perspective difficilement acceptable pour nous, cliniciens. Un sondage effectué auprès d’intensivistes canadiens a d’ailleurs permis de constater que plus de la moitié d’entre eux ne procéderaient pas au prélèvement d’organes si la famille s’y opposait. Reconnaissant cette préoccupation de respecter les familles confrontées à la perte d’un proche, Transplant Québec constate qu’il peut ne pas être possible de poursuivre les démarches conduisant au don d’organes lorsque la famille s’y oppose.
LA LOI
Une telle situation ne va cependant pas dans le sens de la loi ou de l’opinion publique. Un récent sondage initié par Transplant Québec révèle que plus de 70 % des répondants sont défavorables au fait que la famille puisse avoir le dernier mot.
Certains estiment que la loi est claire : le système doit respecter la volonté préalablement exprimée par un donneur potentiel, sauf pour « motif impérieux ». Cette prescription, qui figure au Code civil du Québec, n’a pas été révisée depuis plus de 30 ans. La définition exacte du terme n’a jamais été clarifiée ni même testée devant les tribunaux.
La responsabilité nous revient donc en tant que cliniciens et administrateurs hospitaliers de déterminer ce qui peut être un « motif impérieux ».
La réponse peut parfois être évidente, lorsqu’il s’agit d’un patient ayant un problème de santé transmissible à un receveur, tel un cancer. D’autres situations sont cependant moins claires. Que faire si les membres de la famille affirment que si leur proche avait su que le processus de don d’organes prendrait plusieurs jours, il aurait refusé de donner son consentement ? Ou si elle soutient que leur proche avait changé d’idée, mais qu’il n’a pas eu le temps d’apporter la modification au registre ? Notre expérience démontre que même si elles sont rares, ces raisons sont bel et bien invoquées pour justifier un refus.
CONSULTATION PUBLIQUE
Force est de constater qu’au Québec, aucune directive claire ne permet actuellement de résoudre une telle situation. Pour Transplant Québec, il n’y a pas de réponse facile et l’organisme n’a pas l’autorité pour changer la loi. C’est pourquoi nous préconisons une consultation publique pour recueillir tant l’opinion des acteurs du don et de la transplantation d’organes que de la population. Cette consultation permettrait aux diverses voix du Québec de déterminer ensemble ce qu’un « oui » officiellement exprimé veut vraiment dire dans ces moments critiques où le don d’organes est possible.